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anglais décida que, d’après la construction du navire, il était évidemment destiné à la recherche des nègres sur la côte d’Afrique. Était-il vraisemblable qu’un homme entreprît une telle expédition entouré de ses enfans, de ses chiens, de ses oiseaux, et de toutes ces innombrables bagatelles qui accompagnent le foyer domestique ? Ces considérations, néanmoins, furent vaines ; le navire, en attendant une décision ultérieure, fut confisqué, et, deux jours après, la famille dépouillée et désolée fut rejetée sur les côtes de Cuba.

Le gouvernement espagnol repoussa les deux propositions des Anglais contre les capitaines de bâtimens négriers, l’une comme cruelle, l’autre comme contraire à la dignité nationale ; après de vifs débats, il fut convenu qu’une loi espagnole, rendue ad hoc, fixerait la peine réservée à ce genre de délit. Il ne convenait pas à l’honneur de la nation anglaise qu’un trafic, dont elle avait eu le monopole pendant plus d’un demi-siècle, fût qualifié de piraterie. Une autre question fort importante fut agitée à ce sujet. Le droit de visite et de prise une fois stipulé, il restait à décider ce que les Anglais feraient des nègres saisis : le premier traité n’avait rien précisé à cet égard. Embarrassés, et peut-être émus d’une sorte de pudeur, les Anglais n’osèrent pas d’abord en faire un emploi lucratif, mais ils s’avisèrent de les lâcher sur nos côtes, sous le nom d’emancipados, espérant apparemment que la présence des nègres libres exciterait l’émulation des nègres esclaves et les entraînerait à la révolte. Notre gouvernement réclama contre cet abus ; les Anglais, au contraire, voulurent qu’il fût autorisé par une nouvelle clause ajoutée au traité. Le ministre espagnol refusa positivement d’y consentir.

Les cargaisons de nègres dits émancipés, déposées ainsi dans l’île sans autorisation légale, étaient livrées au gouverneur lui-même, qui les remettait à son tour à divers colons, moyennant la redevance annuelle d’une once d’or par tête. À l’expiration de la première année, ces nègres sont tenus de se présenter devant le gouverneur, qui, après s’être assuré qu’ils n’ont pas appris un état (ce qu’ils ne font jamais), les livre de nouveau au colon, et toujours pour deux années, d’où il résulte que leur sort est précisément celui de l’esclave à cette exception près qu’ils manquent des soins et de la protection du maître. Ceux qui se chargent d’eux, n’étant pas intéressés à leur conservation, les soumettent à des travaux bien plus pénibles, et, la ressource de l’affranchissement leur étant interdite, leur esclavage devient éternel par le fait. Aussi, contre toutes les prévisions des Anglais, l’état d’emancipado, loin de séduire les esclaves, est-il