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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

et proportionné au prix de l’esclave ; en sorte que, du moment où celui-ci a payé les premières cinquante piastres, il acquiert autant d’indépendance qu’en aurait un homme libre, tenu, moyennant arrangement, à payer une dette à un créancier.

Il est à remarquer que plusieurs de ces lois étaient indiquées d’avance par les coutumes libérales des colons de Cuba. Guidés par un sentiment paternel, ils encouragent et facilitent l’affranchissement de leurs esclaves ; et ce résultat est plus fréquent qu’on ne le pense. Indépendamment de la loi de coartacion, le nègre a plusieurs moyens d’acquérir de l’argent. Dans les habitations, chaque nègre a la permission d’élever de la volaille et des bestiaux, qu’il vend au marché à son profit, ainsi que les légumes qu’il cultive en abondance dans son conuco, ou jardin potager. Ce terrain est accordé par le maître et attenant au bojo, ou chaumière. Les dimanches et les soirs, à la brune, l’esclave, après avoir rempli sa tâche, se livre à ce soin, qui se réduit, sur une terre promise, à semer et à recueillir. Souvent telle est son indolence, qu’il faut les instances du maître pour le décider à profiter de ce bienfait. La loi française, bien plus sévère que la nôtre, refusait à l’esclave, avec le droit de propriété, la faculté de vendre, et, ce qui paraît d’une rigueur inouie, il ne pouvait disposer de rien, même avec la permission de son maître, sous peine du fouet pour l’esclave, d’une forte amende contre le maître, et d’une amende égale contre l’acheteur[1].

Les nègres et négresses destinés au service intérieur de la maison peuvent employer leur temps libre à d’autres ouvrages pour leur propre compte ; ils profiteraient davantage de cette faveur s’ils étaient moins paresseux et moins vicieux. Leur désœuvrement habituel, l’ardeur du sang africain, et cette insouciance qui résulte de l’absence de responsabilité de son propre sort, engendrent chez eux les mœurs et les habitudes les plus déréglées. Ils se marient rarement : à quoi bon ? Le mari et la femme peuvent être vendus, d’un jour à l’autre, à des maîtres différens, et leur séparation devient alors éternelle. Leurs enfans ne leur appartiennent pas ; le bonheur domestique ainsi que la communauté des intérêts leur étant interdits, les liens de la nature se bornent chez eux à l’instinct d’une sensualité violente et désordonnée. Une pauvre fille devient-elle grosse, le maître, s’il a des scrupules, en est quitte pour infliger au nom de la morale une punition à la délinquante et pour garder le négrillon chez lui. Presque

  1. Voir le code noir, pag. 10, chap. XVIII.