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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

bien, réfugié sur les montagnes, il choisit sa demeure au fond des forêts vierges. Là, protégé par les remparts impénétrables des arbres séculaires, abrité par les amples rideaux des lianes sauvages, il défie l’autorité du maître, la rigueur du mayoral et la dent meurtrière du chien. Lorsqu’il se sent harcelé de trop près, il cherche une retraite au fond des cavernes, ossuaires solennels, dépositaires fidèles des tristes reliques d’une race infortunée[1]. Mais bientôt la faim et le désespoir l’obligent à se jeter de nouveau dans les campagnes, préférant cette vie vagabonde et périlleuse au joug du travail. Néanmoins, si l’heure du repentir arrive, il implore l’assistance d’un padrino[2] qui le ramène au bercail ; moyennant quoi le maître pardonne sans qu’il s’ensuive punition. Le fugitif est-il pris par la force ou se trouve-t-il en récidive, on se borne à lui mettre les fers aux pieds pour l’empêcher de recommencer ; la justice ne s’en mêle pas.

Voici quelle était la peine infligée au marronage dans le code noir : « L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à dater du jour où son maître l’aura dénoncé à la justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; s’il y a récidive pendant un autre mois, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort ! » Le cœur se révolte, les entrailles frémissent à l’idée de ces tortures insensées et cruelles. Certes, si la révolte de Saint-Domingue fut le résultat des principes proclamés par les apôtres de la révolution française, le code noir en avait préparé les voies par des rigueurs qui, chez une nation aussi éclairée que généreuse, semblent à peine croyables.

Mais, si la législation française fut sévère et dure, la loi anglaise est encore plus acerbe et plus inhumaine. Chose remarquable, plus les nations sont gouvernées par des institutions libérales, plus elles resserrent le collier de fer qui opprime leurs esclaves. On dirait que le besoin de domination et l’orgueil humain, comprimés par des lois équitables, cherchent à reprendre leur essor aux dépens de la race asservie. L’Espagne, avec son gouvernement absolu, est la seule nation qui se soit occupée d’adoucir le sort du nègre ; l’humanité de nos colons envers leurs esclaves rend la vie matérielle de ces derniers plus heureuse, sans aucun doute, que celle des journaliers français,

  1. Les ossemens des indigènes qu’on a trouvés épars dans les plaines et les forêts, ont été déposés dans ces cavernes profondes, situées dans plusieurs parties de l’île.
  2. Parrain.