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réunir dans une seule personne le Verbe et la nature humaine, et il refusait à la sainte Vierge le titre de mère de Dieu. Le nestorianisme eut de nombreux partisans ; il agita l’empire d’Orient, donna de grands embarras à Théodose II, se répandit en Asie et suscita une autre hérésie non moins féconde en troubles politiques. Un moine en grand renom de piété, Eutychès, imagina, pour mieux réfuter Nestorius, d’enseigner qu’il n’y avait dans Jésus-Christ qu’une seule nature, parce que la nature humaine avait été absorbée par la nature divine, comme une goutte d’eau par la mer. Voyez comme l’esprit de l’homme s’acharne à chercher une explication à ce qui est inexplicable, comme il s’agite, comme il se tourmente pour ne pas se soumettre à quelque chose d’incompréhensible.

Les hérésies des six premiers siècles de l’église sont filles de la philosophie grecque accouplée au mysticisme oriental. Au contraire, les hérésies du monde moderne ont été plutôt suggérées par les protestations instinctives du bon sens ; les formules et les abstractions de la science sont venues plus tard.

Le protestantisme donna un nouvel essor aux deux tendances mystique et rationnelle de l’humanité. L’ame de Luther était profondément chrétienne, et c’était par un retour aux sources les plus pures et les plus vives de la foi que ce grand docteur travaillait à la réforme de la religion. Mais en vertu de quel principe retrouvait-il l’esprit sous une lettre morte ? En vertu du principe du libre examen. Sans doute il le circonscrivait, et il entendait bien que la raison ne devait spéculer que sur les données de la foi. Beaucoup de chrétiens suivirent sa direction avec docilité ; mais d’autres esprits s’emparèrent du principe de liberté, sans accepter le joug sous lequel le père de la réforme voulait le faire fléchir.

Ce fut la destinée du protestantisme d’enfanter au-delà des prévisions de ses promoteurs ; il se trouva que la conception primitive si fortement empreinte du sceau de Jésus-Christ et de saint Paul eut des conséquences anti-chrétiennes. Aussi, quelles ne furent pas la douleur et la colère des réformateurs à la vue des monstrueux enfans dont on leur imputait la paternité ! Calvin brûla Servet, parce qu’il crut apparemment que ce n’était pas trop d’un bûcher pour mettre un abîme entre lui et l’audacieux adversaire de la trinité.

Mais ce n’est pas ici le moment de parler des doctrines du théologien espagnol, doctrines qui lui furent si fatales sans exercer sur les esprits une grande influence. D’un bond, Michel Servet, avec une témérité folle, s’était porté aux dernières limites de l’incrédulité ;