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RÉCEPTION DE M. VICTOR HUGO.

a du vide en quelques places. Il en résulte des parties creuses, des endroits plus faibles, qui, bien qu’on en dise, ne résistent pas toujours.

Prenons un exemple : M. Hugo n’a énoncé, je crois, dans tout son discours, qu’une seule proposition théorique. À mon avis, elle manque de solidité. Ayant, comme nous l’avons dit, de bonnes raisons pour ne pas vouloir énoncer un jugement sur l’œuvre littéraire de Lemercier, M. Hugo renvoie la décision à la postérité. Cela est fort bien ; mais voici que cet innocent artifice oratoire prend, sous sa parole, naturellement dogmatique et grave, la forme impérieuse et générale d’un axiome. Non-seulement M. Victor Hugo se récuse, mais il refuse aux contemporains le droit de prononcer. Cette négation du droit de critique, s’il ne la restreignait un peu lui-même, n’irait à rien moins qu’à supprimer une des facultés de l’intelligence humaine. Citons ses paroles : « La postérité seule, — et c’est là encore une de mes convictions, — a le droit définitif de critique et de jugement envers les talens supérieurs. » Plusieurs de nos confrères en critique ont vivement protesté contre cette proposition, dont ils n’ont pas assez vu tout le vide. Que réclamez-vous ? M. Hugo ne dénie, apparemment, à aucune créature humaine le droit de critique et de jugement provisoire. Voudriez-vous donc le droit de critique définitif, que M. Hugo déclare n’appartenir qu’à la postérité ? Mais connaissez-vous, par hasard, quelque chose au monde de définitif ? Les siècles ne se déjugent-ils pas les uns les autres ? Et combien faut-il de siècles pour constituer la postérité ? Boileau, était-ce la postérité pour Ronsard ? Sommes-nous bien sûrs d’être la postérité pour André Chénier ? Enfin, les talens supérieurs, pour lesquels seuls le poète fait des réserves, qui donc les déclarera supérieurs ? N’est-ce pas précisément sur l’octroi ou le refus de ce titre que s’élèvent tous les conflits entre la critique et les auteurs ? Vous le voyez bien, la proposition de M. Victor Hugo, vraie dans son acception courante et empirique, pour ainsi parler, devient fausse, ou plutôt s’évanouit, dès qu’il prétend lui imposer la forme dogmatique. Toute cette phraséologie factice cède au premier examen ; l’armure ne touche pas le corps.

On a reproché récemment à M. Victor Hugo les compartimens symétriques de ses riches périodes, à deux, à trois, à quatre membres, dans lesquels il fait circuler, et, pour ainsi dire, serpenter la pensée. Pour moi, ce que je trouve de vraiment fâcheux dans ce pro-