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porte-enseigne chargé de faire flotter leur bannière dans les grandes réunions, et un procureur fiscal qui enregistrait leurs faits et gestes. Elles avaient un nom symbolique, un blason des plus idylliques, et une devise très morale et très religieuse. Celle-ci porte dans ses armes une branche d’olivier, et a pour titre : Ecce gratia ; celle-là prend pour symbole l’églantine, et pour devise : « Nous fleurissons par l’amour. » Une autre s’appelle le Buisson de Moïse, une quatrième la Vallée de Joie ; une quantité d’autres avaient des noms de fleurs : Fleur de Blé, Fleur des Chams, Fleur de Lys. Celle d’Ypres, plus ambitieuse, s’appelait l’Alpha et l’Oméga, celle de Lichterwelde les Voyageurs Pacifiques. Quelques-unes se plaçaient sous le patronage des saints ; d’autres enfin, voyant le ciel et la terre envahis par leurs rivales, descendaient dans les réalités de la vie vulgaire. Une société de Louvain s’appelait tout simplement le Persil, une autre le Boudin. Les devises étaient d’ailleurs toujours une affaire importante à traiter, un grave objet d’examen et de discussion, si grave que quelquefois, pour en finir, il fallait le deus ex machinâ. On raconte qu’un jour les membres d’une nouvelle société de Bruges, qui prit le titre de Saint-Esprit, s’étant réunis pour aviser à la devise qu’ils adopteraient, virent tout à coup entrer par la fenêtre un pigeon qui leur apporta au bout de son bec ces mots : Mon œuvre est céleste (mijn werk es hemmelick)[1]. De nos jours, on attend encore dans les grandes villes de Flandre et de Hollande les nouvelles des pigeons ; ils apportent la cote de la bourse, le taux des actions industrielles et les changemens de ministères. C’est l’œuvre céleste de cette époque.

Toutes ces chambres jouissaient de certains priviléges qui donnaient à beaucoup d’honorables citoyens le désir de s’associer à elles. Les princes leur témoignaient aussi une faveur particulière. Le duc Jean de Brabant était inscrit parmi les membres de la société de Bruxelles. Charles-Quint donna lui-même un blason à celle d’Amsterdam, et Guillaume d’Orange s’honorait de faire partie de celle d’Anvers. Mais on n’était reçu dans ces glorieuses confréries qu’à la condition d’offrir certaines garanties prévues par les règlemens. Plusieurs sociétés, par exemple, exigeaient de leurs candidats qu’ils fussent mariés depuis au moins un an et un jour. C’était le sine quâ non d’éligibilité dans ces temps de mœurs honnêtes ; c’était la loi des chastes sœurs. Aujourd’hui, elles sont moins sévères.

  1. Kops, Schets eener Geschiedenisse der Rederijkeren, pag. 222.