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LA HOLLANDE.

au lieu de se donner des questions dogmatiques à traiter, ils se passent mutuellement les contre-façons belges de nos romanciers, et dans leurs plus longues heures de liberté ils jouent au whist.

Cependant avant de décheoir ainsi de leur ancienne grandeur, les chambres de rhétorique servirent encore de modèles aux sociétés qui s’établirent en Allemagne aux XVIe et XVIIe siècles sous le titre de sociétés de linguistique (sprachgesellschaften), avec les mêmes recherches prétentieuses de symboles, de devises, de blasons.

Le but littéraire que ces sociétés s’étaient proposé, elles ne l’ont jamais atteint. Elles n’ont laissé que des œuvres fades, incorrectes et de mauvais goût, où l’on ne retrouve pas même ces éclairs d’esprit et ces élans de verve qui font supporter les longueurs de nos anciennes poésies. Loin de pouvoir constituer une littérature, elles ne furent pas même en état de maintenir l’entière indépendance de leur langue, de la soustraire aux envahissemens de l’influence étrangère. La France les dominait, la France leur imposait ses bergeries, ses ridicules personnifications de vices et de vertus enseignées par le roman de la Rose et reproduites dans tant de mystères ; elle leur faisait accepter ses tours de phrase, ses expressions, ses images allégoriques. En vain les partisans zélés de la langue hollandaise s’écriaient en vers et en prose : « Conservons la pureté de notre idiome, éloignons-en les mots empruntés à un autre pays. » En écrivant cette exhortation patriotique, ils trahissaient eux-mêmes leurs erremens philologiques, ils proclamaient avec des mots étrangers qu’on ne devait pas faire d’emprunt à ces dialectes étrangers[1]

  1. Bastaerd woorden vreemt,
    Uitlands niet neemt.

    (Kops, pag. 289.)

    Ypey, dans son Histoire de la langue néerlandaise, cite un passage curieux d’un poète du XVIe siècle qui avait le titre de facteur dans une chambre de rhétorique. Il parle de l’histoire de Pyrame et Thisbé, et compare la mort de Thisbé à la passion du Christ :

    Om te concludeeren van onze begrijpt,
    Dees historie moraliseerende
    Is in den verstand wel accordereende
    Bij der passie van Christus ghebenedijt.

    Dans ces quatre vers, il y a cinq mots français. Les suivans, cités par le même auteur, sont plus étranges encore. Je ne crois pas qu’on ait jamais poussé plus loin la bâtardise du langage.