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terre sera mon marche-pied. Assis sur les nuages rapides, fendant les airs et la lumière, je veux, avec ce tonnerre, réduire en poudre tout ce qui s’opposera à nous, soit en haut, soit en bas, quand ce serait le chef lui-même. Oui, avant qu’on me voie céder, cette voûte d’azur dont les arches sont si solidement construites s’écroulera sous mes yeux, la terre ne sera plus qu’une masse informe, et le monde rentrera dans le chaos. »

La lutte est décidée. Les anges rebelles se rassemblent autour de Lucifer, les bons anges suivent l’étendard lumineux de Michel. Au moment où l’attaque va commencer, Raphaël s’avance un rameau d’or à la main, et tâche de prévenir cette lutte funeste ; ses paroles de paix, de miséricorde, pénètrent dans le cœur de Lucifer et l’ébranlent. Un instant, le chef de la rébellion se sent ému, il hésite, il regarde en arrière ; mais la voix de ses soldats et la voix de l’orgueil raniment sa résolution : il donne le signal du combat, et s’élance à la tête de ses troupes.

Au cinquième acte, Uriel vient raconter la bataille. Le récit de ce combat céleste ressemble à celui d’un combat humain, mais il a cependant de la grandeur et de l’éclat. Trois fois Lucifer est revenu, avec le courage du désespoir, attaquer l’armée de Dieu, trois fois il a été repoussé. Après ces vains efforts, cerné, pressé, battu de tous les côtés, il abandonne le champ de bataille, il fuit, il se retire avec ses troupes éparses et meurtries dans une enceinte de nuages sombres, et là, pour se venger, il jure d’anéantir la félicité de l’homme. Bélial part pour accomplir ses ordres ; Bélial va chercher le plus rusé des animaux, le serpent, et lui souffle son esprit satanique. Adam et Ève succombent, mais après leur chute on voit reparaître le chœur des anges, dont les regards plongent dans l’avenir, et le drame se termine par un chant d’espoir et de miséricorde : « Gloire à vous Seigneur ! un jour vous écraserez la tête du serpent, vous délivrerez le genre humain du péché héréditaire d’Adam, et une demeure splendide s’ouvrira dans le ciel pour les rejetons d’Ève. Nous compterons les siècles, les années, les jours, les heures, jusqu’à ce que votre grace se manifeste, que votre bonté infinie ranime et glorifie la nature languissante dans les corps comme dans les ames, et replace de nouveaux anges sur les trônes qui viennent d’être abandonnés »

Vondel avait composé cette pièce pour le théâtre d’Amsterdam. Elle fut jouée deux fois ; à la troisième, le clergé protestant qui la trouvait peu orthodoxe, en fit interdire la représentation. Cette défense fut plus utile que nuisible au poète. Lucifer est une de ces