Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/899

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
895
MOUNY-ROBIN.

face à face avec une bergère qui gardait ses moutons à l’angle d’une prairie. — Comme elle ne marche pas, dit mon frère, cela ne peut pas s’appeler une rencontre. — C’est égal, dit Mouny, c’est bien mauvais, et la chance est contre nous. Nous allons être deux heures sans rien tuer.

Deux heures se passèrent en effet sans que nous pussions abattre une seule pièce. C’était à qui de nous tirerait le plus mal, et Mouny n’était pas le moins maladroit. — Puisque tu es sorcier, lui dis-je, au lieu de conjurer les mauvaises rencontres, tu devrais avoir des balles qui portent juste. On dit que Georgeon en donne à ses amis.

— Est-ce que vous croyez à Georgeon, vous autres ? dit-il en haussant les épaules. Pour moi, je regarde tout ce qu’on en dit comme autant de contes pour faire peur aux enfans.

— Mais pourquoi évites-tu les rencontres ? pourquoi chasses-tu pendant la messe ? pourquoi crois-tu aux mauvaises chances ?

— Vois-tu, mon petit, reprit-il, tu parles sans savoir. La chasse est une chose à laquelle personne ne connaît rien. Il y a des chances, voilà tout ce que je peux t’en dire. T’ai-je averti que nous aurions deux mauvaises heures ? Elles sont passées ; regarde au soleil. Eh bien ! voilà une pie sur un arbre. Je vais la tirer, et la chance sera pour nous ; si je la manquais, nous ferions aussi bien de rentrer ; nous manquerions à tout coup.

Il abattit la pie. — Ne la ramassez pas, n’y touchez pas, nous dit-il. Cela n’est bon qu’à lever un sort.

— Ah ça, la bergère était donc sorcière ? lui demandai-je.

— Non, me dit-il, il n’y a ni sorciers ni sorcières ; mais elle avait une mauvaise influence. Ce n’est pas sa faute. L’influence est détruite ; à présent nous allons trouver deux perdrix à la Croix-Blanche.

— Comment ! à une demi-lieue d’ici ? dit mon frère.

— Pardine, je le sais bien, répliqua Mouny ; mâle et femelle ! Vous pouvez rencontrer qui vous voudrez à présent, et tirer comme vous pourrez, vous tuerez ces perdrix-là, je vous les donne. Nous les trouvâmes à la place qu’il avait désignée, et mon frère les tua.

— Maintenant, dit-il, nous ne verrons rien d’ici à une demi-heure : regardez à vos montres.

La demi-heure écoulée : — Je veux tuer un lièvre, dit-il ; il faut que je le tue, ce diable de lièvre !

Le lièvre passa à une telle distance, que mon frère cria : Ne tirez pas, c’est inutile ; il est hors de portée.