Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/917

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
913
REVUE LITTÉRAIRE.

Il serait à désirer que M. Barbier dît vrai, mais il est lui-même un exemple funeste du contraire ; il s’est laissé prendre dans les filets d’un système philosophique, il a trop écouté les ténébreux constructeurs d’utopies ; et cependant, l’aile ne lui manque pas, et, quand il le voudra, il peut, d’un seul essor, remonter dans le ciel bleu de la vraie poésie. Nous sommes bien sévère pour un écrivain dont nous aimons le talent ; mais, comme les Chants civils et religieux semblent provenir d’un parti pris plutôt que produits par une inspiration spontanée, nous en disons notre avis sans ménagement, espérant que ce livre ne sera qu’un accident, un écart dans la vie littéraire de l’auteur des Iambes et du Pianto. Il est encore temps pour lui de s’arrêter dans cette voie ; qu’il soit persuadé que la forme est de la plus haute importance en poésie, et qu’elle fait toute la différence de l’admirable au médiocre ; qu’il relise ses propres œuvres, et il verra que ses meilleurs passages, ses élans les plus sublimes, ses apostrophes les plus éloquentes sont d’une facture parfaite, d’une rime riche, d’une opulence extrême de détail et de couleur. La facilité d’une rime pauvre, d’un style lâche, un tour incorrect n’ont jamais amené la moindre beauté ni permis de se produire à une idée que la correction la plus sévère n’eût exprimée cent fois mieux ; les endroits remarquables qui étincellent çà et là dans les Chants civils et religieux sont encore les plus ciselés et les plus étudiés ; tout le monde a des idées poétiques, mais les poètes ont seuls les moules où se jettent les idées, — le penseur ne peut se passer de l’artiste. Que M. Barbier laisse l’esthétique et la philosophie ; qu’il regarde le ciel et la mer, le vert feuillage, les belles femmes et les beaux enfans ; qu’il s’inquiète de la blancheur du marbre de Paros et de l’ambre jaune de Venise, des madones de Raphaël et des Vénus du Titien, qu’il lise Homère, qu’il écoute, sans s’occuper de l’humanité en général, battre son propre cœur dans sa poitrine émue ; qu’il fréquente les ateliers des peintres et les galeries de statues antiques, et il aura bientôt retrouvé sa poésie oubliée plutôt que perdue.

M. Barbier n’est pas toujours absent de son œuvre ; on le retrouve dans maint endroit, au détour d’une strophe ou d’une amplification philosophique, au moment le plus inattendu. Vous êtes éblouis par une lueur subite d’ancienne flamme que la cendre grise d’une esthétique mal comprise ne couvre pas toujours. La personnification hardie de l’homme amoureux de la terre symbolisée sous la figure de la jeune Cybèle, rappelle la hardiesse de métaphore de la Popularité et des iambes du bon temps. L’ode au Travail se termine par un tableau du bœuf de labour rentrant à l’étable après une longue journée de courageux efforts, qui a la netteté et la simplicité de lignes d’un bas-relief antique ; le dernier morceau de l’Hymne au Mariage est d’un grand charme et d’une grande délicatesse. Nous ne pouvons résister au plaisir de la citer :

Il est doux, il est beau de monter la colline Ensemble, et le bras sur le bras ;