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supprimant ses années d’apprentissage, on lui enlevait toutes ses chances d’originalité. Il faut à un pays, pour s’élever au sentiment de l’art, les épreuves d’un noviciat, il faut qu’il se fasse lui-même son chemin : si l’artiste passe subitement de l’ignorance au savoir le plus raffiné, ce n’est qu’à la condition de singer ce qu’il voit faire et d’employer des procédés dont il ne comprend ni le motif ni l’esprit. Faire fleurir la peinture en France était un louable projet, mais il ne fallait pas transplanter l’arbuste tout couvert de ses fruits ; il fallait préparer le sol, faire germer la plante, la laisser croître en liberté, et l’acclimater par une intelligente culture. Notre jeune roi victorieux ne devait pas avoir cette patience. Aussi peut-on dire qu’avec les meilleures intentions du monde il exerça sur l’avenir de la peinture en France une assez fâcheuse influence. Les protecteurs des arts ont si rarement la main heureuse !

Il eut cependant pour son coup d’essai un merveilleux bonheur. Léonard de Vinci consentit à le suivre. C’était l’homme par excellence pour parler à nos esprits, pour nous inspirer le sentiment et l’amour du vrai beau, non par la passion et l’enthousiasme, mais par notre faculté dominante, l’intelligence. S’il eût été d’âge et d’humeur à faire notre éducation, nos artistes l’auraient admirablement compris. Il eût respecté leur goût simple, exact et naïf, tout en cherchant à l’épurer ; il les eût dirigés sans les faire sortir violemment de la pente qui leur était naturelle.

Malheureusement Léonard était vieux, fatigué ; il venait en France pour son repos bien plus que pour notre enseignement. Il ne daigna pas même jeter les yeux sur nos peintres ni s’enquérir de ce qu’ils faisaient ; et pendant les trois années qui se passèrent entre son arrivée et sa mort[1], le seul travail qui l’occupa quelques instans fut un projet de canal pour l’assainissement de la Sologne.

Son passage ne laissa donc point de trace, et bientôt les malheurs qui pesèrent sur la France firent évanouir tous ces projets d’importer parmi nous la peinture italienne.

Mais dix ans plus tard, lorsque le roi eut fait trêve avec sa mauvaise fortune, ses souvenirs d’Italie se réveillèrent, et il voulut que Léonard eût un successeur.

On lui envoya de Florence l’homme qui était le moins fait pour comprendre nos artistes, pour guider leur inexpérience, pour tirer parti de leurs qualités. Le Rosso était un esprit exclusif et dédaigneux, ne comprenant que ce qu’il savait, n’estimant que ce qu’il

  1. 1516-1519.