Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
EUSTACHE LESUEUR.

ils se hasardaient à dire que ces grandes attitudes et ces poses forcées n’exprimaient rien et leur étaient désagréables.

La soumission ne fut complète que de la part des artistes médiocres et de second étage. Ceux que le roi avait confiés au Rosso étaient de ce nombre. Ceux-là copièrent, adoptèrent, outrepassèrent les défauts qu’on leur donnait pour des beautés ; mais il y eut froideur et résistance chez tous les hommes de quelque valeur. Ils ne voulurent pas sortir de ces régions tempérées qui convenaient si bien à leur genre de talent, et n’ajoutèrent rien à la légère dose d’esprit italien qui s’était déjà infusé dans notre goût national.

C’est à cette prudente opposition que nous devons la physionomie originale que nos artistes français conservèrent dans ce second tiers du XVIe siècle aussi bien que dans le premier. Si le goût académique eût tout envahi, si sa domination eût été immédiatement acceptée, ce ne sont pas seulement les portraits de Janet que nous aurions perdus, ce sont aussi les sculptures de Jean Goujon et tous ces trésors d’élégance, toutes ces fines et spirituelles fantaisies qui ressemblent si peu aux savantes et lourdes inventions qui sortaient alors des ateliers d’Italie.

Rien ne contribua davantage à restreindre l’influence des peintres du roi et à retarder la contagion de l’exemple, que nos écoles provinciales. Nous avions alors à Tours, à Toulouse, à Troyes et dans quelques autres villes encore, des associations d’artistes dont une vive rivalité excitait le talent, qui se distinguaient les unes des autres par certaines différences locales, et qui, pour garder leur originalité, faisaient profession d’indépendance et ne prenaient le mot d’ordre de personne. Chacune de ces villes devint un asile impénétrable aux nouveautés qu’on professait à Fontainebleau.

Le roi lui-même et les gens de cour furent souvent forcés de rendre hommage à ces célébrités provinciales. Ainsi il y avait à Lyon un peintre nommé Corneille qui excellait dans les portraits, et qui, pendant trente ans, fut recherché, au dire de Brantôme, pour peindre tout ce qu’il y avait de belles femmes et de jeunes seigneurs à la cour[1]. Lorsque Catherine de Médicis passa à Lyon, elle s’arrêta pour donner le temps à Corneille de faire son portrait et celui de ses deux filles. Eh bien ! Corneille peignait encore plus à la française,

  1. Un certain nombre de portraits de Corneille, confondus dans la collection complète des Janet et des Porbus, avaient été conservés dans la galerie dite des Rois au Louvre ; mais l’incendie du 6 février 1661 réduisit en cendres et la galerie et tous les portraits.