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dans son caractère ; s’il peut ainsi, sous sa conduite, sans bouleversement, sans secousses, faire faire un pas de plus à l’Angleterre dans cette carrière que désormais aucune puissance humaine ne peut fermer aux peuples civilisés.

Une transaction raisonnable et franchement offerte par les tories pourrait amener de singuliers résultats. Si elle peut enlever au cabinet Peel les suffrages de ces hommes ardens, aveugles, opiniâtres, qui dans tout pays ont toujours été un cruel embarras pour le parti conservateur, elle peut aussi lui procurer l’adhésion d’un certain nombre de whigs. Des hommes considérables, très riches, ont-ils pu assister sans une certaine défiance, sans quelque crainte et quelque hésitation, aux derniers exploits du cabinet qui se meurt ? Ces mesures qui, quelque justes et bonnes qu’elles fussent en elles mêmes, s’annonçaient d’une manière si inattendue, si soudaine, si révolutionnaire, cet appel aux masses et aux passions populaires, ce langage d’une violence inouie dans la bouche des hommes du pouvoir, des gardiens de la paix publique, ont dû être pour plus d’un whig matière à graves réflexions. Et lorsque dans le nouveau parlement on verra les whigs les plus ardens et les plus irrités de la défaite d’aujourd’hui chercher leur point d’appui dans les rangs des radicaux et des Irlandais les plus fougueux, il se peut que les whigs modérés et sans passions se sentent refoulés vers les Stanley et les Graham, et aillent bon gré mal gré grossir la majorité du cabinet qui est sur le point de se former.

On le voit, le parti whig aussi rencontrera ses orages et ses écueils ; mais entre les tories modérés et les radicaux, attiré (nous le pensons du moins) d’un côté par des offres raisonnables, et de l’autre par de séduisantes promesses de secours, pourra-t-il suivre sa route sans voir ses rangs s’amincir, sans cacher son drapeau et arborer des couleurs qui ne sont pas les siennes ? Il est permis d’en douter.

Il est impossible de jeter les yeux sur ce qui se passe aujourd’hui en Angleterre sans être frappé d’une remarque que fait naître dans tout esprit réfléchi l’étude de l’histoire. Les hommes qui ont le gouvernement des choses de ce monde font si souvent autre chose que ce qu’ils voulaient faire, que ce qu’ils s’imaginent avoir fait ! L’histoire est pleine de ces mécomptes de l’orgueil humain. Le cabinet de lord Melbourne est pour les hommes d’état un nouvel enseignement d’humilité et de modestie. Par le traité du 15 juillet, il comptait se raffermir et se préparer un long et brillant avenir ; il s’est suicidé : il voulait s’arroger sur l’empire ottoman une influence exclusive et permanente, et l’empire ottoman, ébranlé par la secousse que lui a donnée sa violente intervention, menace de s’écrouler et d’ouvrir une large brèche à la Russie ; il espérait ôter à la France toute action sur les affaires de l’Orient, et déjà l’Europe, effrayée des funestes suites du traité, est impatiente de le voir relégué parmi ces faits accomplis dont on ne veut pas même garder le souvenir, convaincue désormais que le concours de la France peut seul préparer à la question orientale une solution qui ne compromette pas le repos du monde.