Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
REVUE DES DEUX MONDES.

propres forces. D’une part, le vice-roi d’Irlande, si souvent loué par lui, lord Ebrington, s’était officiellement prononcé, et avait, par une proclamation, fait savoir aux repealers qu’ils ne devaient compter à l’avenir ni sur l’appui ni sur le patronage du gouvernement. D’un autre côté, quelques catholiques notables et la plupart des protestans libéraux n’hésitaient pas à prendre parti pour le maintien de l’union. En face de l’association dont M. O’Connell était le chef, il venait même de se former à Belfast, sous le nom d’association constitutionnelle, une association libérale, mais formellement opposée à la séparation. Elle avait pour président lord Charlemont, fils de l’illustre chef des volontaires de 1782, un des hommes les plus justement considérés et les plus populaires en Irlande. Dans ses rangs, on voyait figurer jusqu’à des radicaux connus, M. Sharman Crawford, par exemple, jadis membre de la chambre des communes, et qui s’était retiré du parlement il y a trois ou quatre ans, plutôt que de se faire le serviteur de M. O’Connell. On conçoit, en présence de cette double opposition, l’embarras du grand agitateur. Prendre à partie les orangistes et les tories, rendre à lord Stanley et à lord Lyndhurst coup pour coup, injure pour injure, dénoncer Wellington et sir Robert Peel comme des hommes qui cachent leurs vues perfides et sanguinaires sous une feinte modération, rien de plus facile ; mais rompre avec les protestans libéraux et avec la tête des catholiques, attaquer lord Ebrington, traiter lord Charlemont en ennemi, c’était jouer un tout autre jeu. Aussi, contre son usage, M. O’Connell montra-t-il quelque hésitation et une certaine timidité. À Cork, il se hasarda bien à blâmer lord Ebrington ; mais, à Dublin, il lui resta fidèle ainsi qu’au ministère. Quant à lord Charlemont, il se borna à déplorer son erreur et à faire des vœux pour que l’expérience l’éclairât ; il n’alla pas plus loin, et plusieurs réunions publiques eurent lieu où, d’un accord commun, le mot de rupture de l’union ne fut pas même prononcé. C’était maintenir dans le parti libéral irlandais un accord apparent ; mais c’était en même temps refroidir le zèle des repealers et diminuer leurs chances.

Il s’en faut d’ailleurs que toutes les parties de l’Irlande soient animées du même esprit. Au sud et à l’ouest, là où les catholiques sont vingt contre un, tout juste milieu est impossible ; on y est orangiste ou dévoué à la grande association catholique dont le siége est à Dublin. Dans le nord, il n’en est pas de même, et, depuis qu’il prêchait contre l’union, M. O’Connell y avait perdu, dans le parti libéral, une portion de son influence. Aussi doutait-on que, dans son