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DE LA CRISE ACTUELLE EN ANGLETERRE.

pèlerinage, il osât pousser jusqu’à Belfast, et affronter à la fois la haine des orangistes, qui sont nombreux dans cette ville, et le mécontentement du parti libéral. M. O’Connell pourtant ne voulut pas reculer, et il alla à Belfast, mais comment ? Non comme d’habitude, avec éclat, avec bruit et en triomphateur, mais modestement, silencieusement, et sans qu’on fût averti. Par ses instructions d’ailleurs, deux réunions avaient été convoquées : la première, purement libérale, où il se garda de dire un mot pour la séparation, et la seconde, une heure après, où, ôtant son surtout et paraissant tout à coup en costume de repealer (un collet de velours blanc et des boutons gravés), il se mit à tonner contre l’union. Puis, sans attendre l’explication, il monta bien vite en chaise de poste, et s’en alla incognito comme il était venu.

Voici donc quelle était, un mois avant l’ouverture du parlement, la situation politique de l’Angleterre. Les deux grands partis constitutionnels, whigs-radicaux et tories de toute nuance, gardaient un silence prudent et paraissaient s’observer réciproquement. Les chartistes continuaient à s’agiter, mais d’une agitation maladive et stérile. L’Écosse s’occupait surtout de ses querelles religieuses et de la lutte établie entre l’aristocratie et la démocratie de son église. En Irlande enfin, M. O’Connell prêchait avec une infatigable activité la rupture de l’union ; mais, combattu par le vice-roi, il trouvait dans le parti catholique peu d’ardeur, et dans le parti libéral une opposition décidée. Que présageait ce calme, et que signifiait, par rapport à l’avenir du ministère, cette attitude réservée des partis ? Sur ce point, il y avait parmi les hommes les mieux informés deux opinions fort différentes : selon les uns, les tories avaient résolu d’attaquer le ministère, dès la discussion de l’adresse, sur la question extérieure, et de le renverser ainsi, au premier vote, avec l’aide de quelques radicaux mécontens ; selon les autres, la hardiesse et le succès de lord Palmerston avaient au contraire jeté le désordre dans les rangs de l’opposition, et conquis une douzaine de voix qui désormais devaient assurer au cabinet une honnête majorité.

De ces deux opinions, l’une n’était pas plus fondée que l’autre, ainsi qu’on put s’en convaincre dès les premiers jours de la session. Nul doute qu’en blâmant le traité du 15 juillet et la rupture de l’alliance française, les tories n’eussent pu gagner quelques voix radicales et faire passer, soit dans l’adresse, soit à part, une résolution contraire au cabinet ; mais la politique qu’il s’agissait de flétrir était précisément la vieille politique des tories, tout récemment empruntée