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de 10 à 15 fr. par quintal, une somme de 40 à 60 millions que les consommateurs anglais paient chaque année aux planteurs de la Jamaïque et des autres colonies. Dans son budget néanmoins, le ministère whig conservait aux planteurs une prime de 12 sh. (15 fr.) par quintal, c’est-à-dire une prime plus forte que celle dont jouit en France le sucre colonial.

En présence d’une telle protection, il semble assurément que les consommateurs aient seuls le droit de se plaindre. Cependant il n’en est point ainsi, et les producteurs se déclarent ruinés si le bill ministériel vient jamais à prévaloir. Ce qu’il leur faut, c’est le monopole absolu du marché. Qu’une livre de sucre étranger se consomme en Angleterre, et les colonies sont perdues. Il est difficile de croire au succès d’une si étrange prétention, si elle ne se trouvait soutenue en ce moment par une circonstance particulière. L’Angleterre, par une honorable initiative, a aboli l’esclavage dans ses colonies, et c’est depuis deux ans seulement que la période d’apprentissage a fini. La conséquence, c’est que, sur plusieurs points, on se procure difficilement des travailleurs, et que leur travail est à haut prix. Or convient-il de choisir précisément ce moment pour appeler la concurrence du sucre étranger, et d’ajouter ainsi aux embarras actuels des propriétaires en les forçant à vendre à plus bas prix ce qu’ils produisent plus chèrement ? Convient-il, en un mot, de compromettre la grande épreuve qui se fait, et de retarder peut-être dans le monde le mouvement d’émancipation ? Tel est, bon ou mauvais, l’argument que les planteurs ont fait valoir fort habilement, et qui a dû produire quelque impression.

Je viens à la plus importante des mesures proposées, à celle qui donne son caractère à la lutte actuelle, et qui va peut-être marquer une ère nouvelle dans la politique commerciale de l’Angleterre. L’idée de prohiber le blé étranger et de taxer le pain est en Angleterre, comme en France, une idée nouvelle, une idée qui d’ailleurs ne pouvait naître avant que d’une part l’accroissement de la population rendit insuffisant le produit des meilleures terres, avant que de l’autre la facilité des communications permît de songer à suppléer au déficit par un approvisionnement étranger. Jusque vers la fin du dernier siècle, les lois sur les céréales furent donc bien plutôt dirigées contre l’exportation du blé national que contre l’importation du blé étranger, et, si celui-ci fut quelquefois prohibé, la prohibition manqua toujours de moyens suffisans pour se faire respecter. En 1773, un acte spécial permit formellement l’importation du blé étran-