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cruels affronts. C’est, par exemple, comme chef du parti tory, qu’avant de voter les subsides provisoires, il exigea de lord John Russell la promesse formelle que la dissolution et la convocation du nouveau parlement auraient lieu sans retard. C’est comme chef du parti tory que, tout en accordant l’augmentation du nombre des juges en cour de chancellerie, il fit passer un amendement qui ajournait au mois d’octobre prochain toute nomination.

Ce serait bien mal connaître les hommes d’état anglais que d’attribuer à des causes insignifiantes une conduite si remarquable et si persévérante. En refusant de porter le débat sur le terrain choisi par le cabinet, l’opposition avait un motif, et ce motif le voici, selon moi. À l’agitation industrielle suscitée par le ministère, les chefs des tories modérés ne demandaient pas mieux que d’opposer l’agitation agricole, et de gagner ainsi quelques voix dans la chambre des communes d’abord, puis dans les élections ; mais ils ne voulaient pas s’asservir d’avance à cette agitation et prendre envers elle des engagemens inopportuns. Aujourd’hui sir Robert Peel est libre et peut, lorsqu’il sera premier ministre, se décider pour ou contre un changement aux lois des céréales, selon l’état de l’opinion publique et les nécessités politiques du moment.

Avant d’aller plus loin, il est bon de remarquer combien, à tout prendre, les formes anglaises sont à la fois plus raisonnables et plus pratiques que les nôtres. Supposons que la scène se passe en France, et que, dans les mêmes circonstances, M. Thiers ou M. Guizot veuille changer de terrain et lier son existence ministérielle au succès de trois mesures considérables : il faudrait que trois commissions fussent nommées, qu’elles examinassent chacune des mesures et qu’elles fissent trois rapports, ce qui nécessairement prendrait beaucoup de temps et prolongerait la crise. En Angleterre, c’est le 30 avril que lord John Russell et M. Baring proposent leur budget, et huit jours après la chambre est en mesure de se prononcer. Au lieu d’émettre un vote pur et simple, l’opposition, d’ailleurs, a le droit de soumettre à la chambre une résolution préjudicielle qui exprime nettement son avis et rend ainsi le vote plus décisif et plus clair. Ce n’est pas tout. Le jour où elle en a la volonté, l’opposition peut, sans détour et sans équivoque, appeler le parlement à voter non plus sur une loi ou sur une résolution abstraite, mais sur l’existence même du ministère. Elle peut poser cette question si nette : « Le ministère a-t-il, oui ou non, la confiance de la chambre ? » Sans doute ces sortes de propositions ne passent jamais sans grand effort, et, lorsqu’elles échouent,