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d’ailleurs quelle admirable lutte il soutint en 1835, quand, rappelé soudainement d’Italie par un caprice royal, il dut, sans espoir de succès, tenter une entreprise prématurée, et qui dérangeait toutes ses combinaisons. Personne n’ignore de quelle fermeté il fit preuve en 1839, quand, chargé par la reine de composer un nouveau cabinet, il prétendit exercer jusque dans la maison royale les droits de premier ministre, et aima mieux renoncer au pouvoir que de le prendre incomplet et mutilé. Personne n’ignore enfin par quelle habileté soutenue, par quelle froide persévérance il est parvenu, au milieu de tant d’obstacles, à conquérir la majorité dans la chambre d’abord, puis dans le pays, sans sacrifier une de ses opinions, sans faire aux passions et à l’impatience de ses amis une concession qu’il eût à regretter. On a remarqué avec raison que, chef des conservateurs, sir Robert Peel ne manque jamais une occasion de rappeler les principes qui ont mis la maison de Hanovre sur le trône, et de proclamer la prépondérance de la chambre des communes. C’est que sir Robert Peel est trop éclairé, trop judicieux, pour ne pas voir que là est le droit et la force, surtout depuis le bill de réforme. C’est en outre que cette prééminence du principe parlementaire sur le principe monarchique, et de la chambre basse sur la chambre haute n’a rien au fond qui déplaise au fils du manufacturier de Tamworth.

Quoi qu’il en soit aujourd’hui, à cinquante-trois ans, sir Robert Peel est, sans contestation, un des hommes d’état les plus consommés que l’Angleterre ait possédés, un des plus dignes de conduire les affaires d’un grand pays. Ce n’est point un orateur du premier ordre, et ses discours ont en général peu de chances de passer à la postérité comme des modèles d’éloquence classique ; mais il a une manière de parler simple, claire, droite, méthodique, qui, sans viser à l’effet, y arrive souvent. Il a de plus un mérite bien précieux pour un chef de cabinet ou d’opposition, celui de traiter tous les sujets avec une égale facilité. Politique, finances, économie politique, législation civile et criminelle, administration, guerre, tout est également du ressort de sir Robert Peel, et partout il apporte les connaissances les plus solides, le bon sens le plus sûr, la plus remarquable lucidité. Aussi, après une longue discussion où, perdant de vue la question principale, les orateurs se sont jetés dans mille sentiers détournés, et ont transformé le combat en tournoi, y a-t-il un plaisir infini à voir sir Robert Peel se lever, et, par quelques paroles graves et fermes, ramener l’attention sur le vrai point du débat. À l’entendre, on sent qu’on a devant soi, non un avocat ou un littérateur, mais un homme politi-