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dans le pays ; mais il ne faut pas oublier que l’opinion conservatrice a pour elle la grande majorité des propriétaires fonciers et des chefs d’industrie, l’église, l’armée, l’université, les professions judiciaires, c’est-à-dire presque toutes les classes supérieures de la société. Elle a pour elle aussi, au sein des classes moyennes, la crainte des bouleversemens nouveaux et l’effroi qu’inspirent les chartistes. Dans les classes inférieures enfin, elle a, soit par esprit de routine, soit parce qu’ils défendent des propriétaires, la plupart de ceux qui cultivent le sol. On ne peut donc pas dire que la majorité qui porte en ce moment sir Robert Peel au pouvoir soit une majorité éphémère et accidentelle, une de ces majorités qui s’évanouissent aussitôt qu’elles ont paru et meurent dès qu’elles sont nées. C’est au contraire une majorité laborieusement conçue, et dont l’organisation, lentement développée, ne paraît avoir rien d’artificiel et de débile. Dans ce moment, l’esprit de l’Angleterre proprement dite est en définitive plus conservateur que réformiste. Voilà un premier fait qui, à mon sens, ressort clairement de l’histoire des deux dernières années, et surtout de l’élection qui se termine.

Voyons maintenant par quelles difficultés extérieures ou intérieures le ministère Peel est menacé. La première de ces difficultés, celle qui frappe le plus tous les yeux, est celle qui résulte des trois mesures proposées par le ministère Melbourne et dont va s’emparer la nouvelle opposition. Ces mesures, je l’ai dit et je le répète, sont justes, salutaires, populaires, et il n’est pas douteux qu’elles ne l’emportent un jour. Toutefois leur temps est-il venu ? Ce qui vient de se passer prouve le contraire. Que les comtés les repoussassent, rien de plus simple ; mais on devait croire que les villes et bourgs, les villes manufacturières surtout, les adopteraient avec enthousiasme. On devait croire que le ministère Melbourne retrouverait ainsi d’un côté ce qu’il perdait de l’autre. Or, les bourgs et villes d’Angleterre ont donné aux tories quinze nominations de plus qu’en 1837. On peut conclure de là que les trois mesures ont produit peu d’effet, et que l’opinion publique n’en est pas venue au point de les imposer au parlement. Or, dans le parlement abandonné à sa propre impulsion, il y a contre ces mesures une majorité bien plus forte qu’on ne le suppose. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer que dans la minorité whig figurent encore six des treize membres qui ont voté pour lord Sandon contre le cabinet, et plusieurs de ceux qui se sont volontairement abstenus. D’un autre côté, il est bon de se rappeler que sir Robert Peel a eu soin de très peu s’engager. Sur