Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
510
REVUE DES DEUX MONDES.

principe. Pendant que ces hommes à courte vue croient combattre pour la quotité de l’impôt ou le nombre des électeurs, ils sont à leur insu au service d’une idée philosophique ; mais, comme ils ne connaissent pas leur drapeau, il leur arrive souvent d’en changer sans s’en douter. Ils ressemblent à ces marins qui, pour ne pas perdre de vue la côte, ne savent bientôt plus comment se diriger en mer. Le philosophe est l’habile capitaine qui envisage fixement son but, et, sans regarder la terre, suit hardiment la ligne droite à travers les flots.

Rien n’est plus précieux pour la philosophie que ces écrivains qui poursuivent fidèlement les applications d’un principe, et se présentent pour ainsi dire tout d’une pièce aux appréciations de l’histoire. C’est une expérience toute faite et qu’il ne s’agit plus que de constater. Veut-on connaître la valeur et la portée de M. de Bonald en philosophie et en politique ? M. de Bonald est tout entier dans une seule théorie, sa théorie du langage. Qu’il s’agisse du divorce, de la peine de mort, de la censure, des cours prévôtales, c’est dans cette théorie qu’il va chercher ses argumens ; c’est elle qui gouverne ses opinions dans les sujets en apparence les plus éloignés, l’assiette de l’impôt, l’aliénation des forêts royales. Réunir toutes ces doctrines dans un système uniquement appuyé sur cette base, discuter cette théorie fondamentale dont la chute doit entraîner tout l’édifice, tel est le seul moyen praticable pour juger M. de Bonald. On peut le juger diversement ; mais quiconque ne sent pas cette filiation ou fait porter son appréciation sur d’autres points, n’a jamais rien compris ni à la vie de M. de Bonald, ni à sa politique, ni à sa philosophie.

L’Académie française a donné M. Ancelot pour successeur et pour panégyriste à M. de Bonald. Malgré tout l’honneur qu’un pareil choix fait rejaillir sur M. Ancelot, nous avouons sans trop de confusion que nous ne saurions porter un jugement sur les œuvres du nouvel académicien, sans encourir l’arrêt qu’il a porté lui-même dans son discours de réception contre les critiques superficiels qui jugent sans avoir lu. Il nous permettra seulement de dire que, si l’Académie voulait témoigner son respect pour la mémoire du collègue qu’elle a perdu, elle ne devait pas faire choix d’un vaudevilliste pour remplir la place laissée vacante dans son sein. Il est presque passé en usage de tenir compte, dans les élections, des rapports d’étude, des analogies de talent et de caractère qui peuvent exister entre le candidat et son prédécesseur, et l’Académie ne doit pas, sans de pressantes raisons, se départir d’une coutume dont tout le monde apprécie la sagesse. Personne n’était de l’avis de l’Académie sur la nécessité et la conve-