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dans les deux chambres. Dans des observations publiées en 1818, sur un livre de Mme de Staël, Considérations sur les principaux évènemens de la révolution française, il s’attache surtout à réfuter cette erreur, que la monarchie absolue est la plus informe de toutes les combinaisons politiques. Son dernier ouvrage fut la Démonstration du principe constitutif des sociétés. On ne trouve pas dans cette longue carrière une action qui ne soit conforme à ses principes, pas une ligne qui les démente. Il pouvait relire en 1840 sa Théorie du pouvoir, publiée quarante-six ans auparavant, sous la république, sans regretter une seule de ses opinions. Il figura cependant en 1815 dans le Dictionnaire des Girouettes, et jamais accusation ne fut plus contraire à la vérité. M. de Bonald ne s’est jamais vendu, il n’a jamais été le complaisant de personne, pas même de ses amis politiques ; son amour pour le pouvoir légitime, sa haine pour la liberté, ont constamment dirigé toute sa conduite. L’auteur de Honnêtes gens vengés, qui scruta la liste des girouettes, en ôta M. de Bonald, tout en l’accusant d’être « inclément dans sa philosophie, et d’un style sévère jusqu’à la rudesse. » Ce dernier reproche n’est pas juste ; le style de M. de Bonald, assez peu remarquable d’ailleurs et le plus souvent d’une grande sécheresse, est toujours clair, quelquefois spirituel ; il échoue ordinairement quand il cherche la force et l’éclat ; sa rudesse est tout entière dans ses opinions, et pas du tout dans sa manière. Dans son style, on reconnaît l’homme du monde, le gentilhomme affable, aux mœurs douces et bienveillantes ; mais il est impitoyable dans ses théories, comme il l’a été dans sa vie publique, faisant le mal avec la ferme intention de faire le bien, et vertueux jusque dans ses écarts.

Rien n’est plus aisé à connaître que le caractère général de la philosophie de M. de Bonald. Il n’y a qu’à voir quel est son but ; c’est de poursuivre la liberté sous toutes ses formes. M. de Bonald était venu dans un temps qui devait inspirer ou un amour sans bornes ou une profonde horreur pour la liberté. Sa position de famille et de fortune, son éducation, et sans doute aussi son caractère et le tour de son esprit le jetèrent dans la résistance, et il alla d’un bond à l’extrémité la plus reculée. Le spectacle des révolutions présentes produit plus de convictions extrêmes que d’opinions modérées, et le souvenir des révolutions passées plus d’opinions modérées que de convictions extrêmes. Parmi les philosophes, les deux hommes qui ont eu peut-être l’horreur la plus forte pour la liberté sont Thomas Hobbes et M. de Bonald ; ils lui ont fait l’un et l’autre une guerre acharnée, le premier par ses écrits seulement, le second par ses écrits