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et mythologiques, où les dieux olympiens descendaient sur la terre tout armés pour le combat, où les libraires venaient s’offrir d’eux-mêmes, les libraires dont la race semble s’être perdue ? Comment ne pas s’émouvoir à l’idée de cette période de gloire et d’émulation généreuse, de cette ère féerique où la poésie était partout, où la ballade, l’ode et le sonnet régnaient en souverains, et ne quittaient pas le salon d’une minute ; où le piano laissait dire la cheminée, où pas une soirée, pas un bal, pas une matinée ne se donnait sans quelques milliers de vers, grands ou petits, dithyrambes, élégies, bouquets, rondeaux et virolais, que sais-je ? Alors les virtuoses du jour ne s’appelaient ni Rubini, ni Duprez, ni Malibran, ni Grisi, mais Guiraud, Briffaut et Soumet ; alors un poète valait un pianiste, et l’astre de M. Liszt eût pâli devant l’étoile du chantre de Saül.

On venait de découvrir André Chénier, ce livre orphique d’où la révélation devait sortir ; on l’étudiait, on le commentait sans relâche, on taillait ses doctrines sur son œuvre ; une épigraphe sacramentelle, sans laquelle nulle poésie n’eût osé se produire dans la Muse française, c’était ce fameux vers du chantre de la Jeune Captive :

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Les pensers n’étaient pas toujours bien nouveaux à vrai dire, mais on s’en consolait en s’imaginant que les vers étaient antiques. Hélas ! des vers antiques, nous en avons encore. Apollon, dieu de l’arc, Apollon Sminthée, a remplacé pour aujourd’hui les bonnes dagues de Tolède ; et, quand nous voulons donner la vie à quelque mythe bien nébuleux, à quelque vague conception germanique, le marbre de Paros, Dieu merci, ne nous fait pas défaut. Le mouvement littéraire de 1820 eut cela de bon ou de mauvais, comme on voudra, qu’il révéla tous les secrets de la forme poétique. La boite de Pandore une fois ouverte, les sonnets et les strophes s’en échappèrent par milliers. Aujourd’hui le mécanisme de la versification n’est plus un secret pour personne : chacun possède plus ou moins le procédé ; de là tant de vers harmonieux, sonores, bien rimés, tant de vers excellens auxquels il ne manque qu’une chose, la poésie. Au fait, puisqu’on met les vers en musique, pourquoi ne les mettrait-on pas tout aussi bien en poésie ?

On travaillait de concert, on militait ensemble et d’un commun accord ; vous eussiez dit la phalange thébaine, à voir ces mouvemens et ces évolutions, ces marches et ces contremarches, s’opérer avec tant d’ordre, de stratégie et de régularité ponctuelle. Il est vrai qu’on