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rituel improvisateur ; c’est à lui que s’adressent les jeunes musiciens en quête d’une cantate, à lui que les maëstri aux abois ont recours lorsqu’il s’agit d’assouplir quelque rhythme peu malléable, quelque strophe revêche à la mélodie, et M. Émile Deschamps satisfait tout le monde, trouve pour chacun des consolations et des éloges, donne au musicien sa ballade, rend au prince russe ses vers purgés de barbarismes et d’énormités, renvoie au poète débutant sa réponse, variation obligée au thème ordinaire : Vous êtes poète, monsieur, etc. Que dirait-on d’un homme dont l’emploi serait de répondre à tous les récipiendaires de l’Académie française, d’avoir toujours en réserve des complimens et des paroles de miel pour tous les convives appelés à prendre place au banquet des quarante immortels ? Et cependant M. Émile Deschamps tient tête à lui seul à des fonctions bien autrement terribles, lui le chancelier éternel et sans partage de cette Académie française universelle, où chacun entre de plain-pied.

La Muse française, telle que les temps et les défections l’ont faite, vit encore et subsiste ; si loin qu’on se soit retiré, si à l’écart qu’on ait porté ses lares, on n’a garde pourtant de fermer l’oreille à toutes les rumeurs du jour ; par momens, certaines velléités se ravivent, de furieux désirs de lutte et de succès s’irritent ; on se dit, au spectacle des misères et des avortemens de notre époque : Si nous recommencions ! et l’on recommence. Après la coupe de juillet, on en veut au regain d’octobre. À peine M. Guiraud a-t-il donné le branle avec ses conceptions mystiques, que M. Soumet vient, comme au bon temps, mettre les idées de M. Guiraud en alexandrins, en tragédie ; M. Soumet, l’homme-épopée, qui ne veut rien laisser en dehors de son œuvre, et qui fera quelque jour sa symphonie avec chœurs et sa cathédrale. Aujourd’hui, c’est M. Émile Deschamps qui rassemble ses poèmes et les publie, et vous prétendiez que la Muse française avait disparu ! et vous disiez comme Bossuet : « Madame est morte ! »

M. Émile Deschamps, dans l’édition nouvelle de ses poésies, a supprimé la fameuse préface de 1828. Nous regrettons, pour notre compte, cette préface, morceau écrit de verve, récapitulation chaleureuse et définitive de tous les manifestes du temps, la seule prose sérieuse que l’auteur des Études ait rédigée. M. Émile Deschamps donne pour prétexte à cette omission le manque d’espace. Nous croyons plutôt que le poète aura craint de réveiller par là d’anciennes querelles assoupies, d’anciennes controverses, devant lesquelles