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ne fallait-il pas oublier que, s’il est fâcheux de s’être fait une mauvaise querelle, il est plus fâcheux de ne pas la soutenir jusqu’au bout. Or, il est incontestable que, bons ou mauvais, justes ou injustes, les deux traités du Mexique et de Buénos-Ayres nous ont fait perdre dans l’Amérique du Sud tout crédit et tout renom. La seule idée qui reste dans ces vastes contrées, c’est que la première fois, après un fait d’armes brillant, la seconde sans combat, la France a reculé et cédé la meilleure partie de ses prétentions ; c’est que par conséquent il n’y a pas plus à compter avec elle que sur elle. Est-il besoin de dire quels ravages une telle idée doit produire au milieu de populations qui, comme les populations orientales, ne comprennent guère le droit sans la force, et s’en rapportent volontiers à ce qu’on appelait jadis le jugement de Dieu ?

Au point où en sont les choses, le gouvernement français peut envoyer dans l’Amérique du Sud tels agens qu’il voudra ; il n’en est pas un dont les promesses ou les menaces commandent la confiance ou la crainte, pas un qui soit en état de protéger efficacement les personnes et les choses dont la tutelle lui appartient. Inaction ou impuissance, voilà l’alternative qui leur est laissée, voilà la destinée qui les attend. Il y avait cependant pour la France une belle place à prendre dans ces états nés d’hier, où tant de germes féconds ne demandent qu’à se développer. En 1830, on le sait, avec une précipitation peut-être trop généreuse la France reconnut les républiques de l’Amérique du Sud, sans exiger, comme l’Angleterre, qu’elles payassent cette reconnaissance par des traités à son profit. Depuis, jamais, directement ou indirectement, elle n’a rien fait contre leur indépendance ou contre leur prospérité. Ajoutons que si, parmi ces populations à peine émancipées, il y a un peu de vie intellectuelle, c’est par notre littérature, par nos arts, par notre civilisation. Tout tendait donc à rapprocher les peuples, à unir les intérêts. Or, jamais les intérêts ne furent plus divisés, les peuples plus séparés. Encore une fois, je ne blâme ni l’amiral Baudin en 1838, ni l’amiral Mackau en 1840. Peut-être, avec les faibles ressources dont ils disposaient, ont-ils dû se contenter des concessions qu’on leur a faites, et ramener en France des forces dont elle pouvait avoir besoin. Peut-être même l’état des esprits et des partis au Mexique et à Buénos-Ayres ne permettait-il pas une meilleure solution dans aucun cas. Il n’en reste pas moins vrai qu’après plusieurs années de blocus et deux expéditions dispendieuses, l’idée que nous avons laissée dans l’Amé-