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sous forme théologique : il a chanté le sacré triangle, c’est trop. On remonterait ainsi tout droit aux Alexandrins. Dans le rhythme, il a introduit une forme de tercet, à lui particulière, afin qu’il y eût, jusqu’au courant du flot, une réverbération et un reflet du chiffre mystérieux. Ceci est plus piquant. La forme du tercet, tel qu’il l’a pratiqué dans le Livre des Conseils, s’adapte très bien d’ailleurs à la poésie gnomique, et il a eu le soin encore d’y trouver une autorité locale dans quelque forme analogue des anciens bardes. Ce sont là de ces fantaisies de poète et d’artiste qu’il ne faut pas trop chicaner. Le plus réel inconvénient du titre abstrait, et de ce qui s’en suit, c’est de rendre le bord du vase moins accessible pour bien des lèvres délicates et féminines.

Les Ternaires appartiennent assez véritablement par leur caractère à une troisième époque de la vie intérieure du poète. Voici comment en effet je conçois la marche du talent, et on la pourrait vérifier dans la plupart des écrivains de nos jours. On commence par une sorte d’abandon, de vivacité et d’ardeur plus ou moins mêlée d’inexpérience, mais rachetée par bien des qualités primitives. Puis, si le talent est réel, s’il a de l’avenir, il ne s’en tient pas au coup d’essai, il récidive. À ce second temps, à cette seconde saison, il a gardé encore de la fraîcheur et de la facilité des inspirations premières, mais elles ont acquis plus de développement, de fermeté, la pleine maturité déjà : c’est le lucide moment, la nuance épanouie. Enfin, en achevant de mûrir, le talent arrive à d’heureux résultats encore, plus approfondis peut-être, plus concentrés ; mais désormais un certain rayon qui se joue et la fraîcheur du premier duvet ont disparu. Les productions des poètes ne tombent pas toujours sans doute dans l’une ou l’autre de ces exactes saisons ; pourtant une teinte générale domine. Dans Les Ternaires, à travers bien des rayons et des élans, d’ordinaire une poésie virile se fortifie et se complique d’une pensée consommée.

Le trait vraiment original du recueil me paraît être (qu’on me passe le terme) au point d’intersection, dans l’ame du poète, de ses souvenirs de Bretagne et d’Italie. M. Brizeux, dès les années qui suivirent la publication de Marie, visita beaucoup ce pays de force et de grace, comme il l’appelle ; il le visita d’abord en compagnie de son ami M. Auguste Barbier, puis seul à diverses reprises, non plus passant, mais séjournant ; il y a fait toutes les saisons. Par momens sa Bretagne lointaine lui échappait, la courtoisie florentine l’avait conquis, il allait oublier son Ithaque ; mais tout d’un coup un costume,