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ni trop réelle, était bien ce qu’il fallait à cette façade d’architecture indécise et bâtarde, hésitant entre l’art grec et l’art romain. Le talent académique ne saurait aller plus loin.

M. Jouffroy, l’auteur de la Jeune fille confiant son secret à Vénus et de la Désillusion, exposée au dernier salon, a adopté le parti contraire dans un fronton pour l’hospice des Jeunes Aveugles qu’il vient de modeler et que nous avons eu occasion de voir. Il a eu le courage d’être franchement actuel.

La figure du fondateur de l’hospice, assise sur un fauteuil, occupe le milieu de la composition ; c’est un homme d’un certain âge, la figure douce et bienveillante, en costume français du temps de Louis XVI ; à côté de lui se tient debout une figure allégorique, la Bienfaisance ou la Charité ; les jeunes aveugles groupés pittoresquement sont distribués dans les deux angles du fronton, les jeunes filles d’un côté, les garçons de l’autre ; ceux-ci apprennent à lire, ceux-là à jouer de quelque instrument ; le reste tresse des paniers ou se livre à quelque occupation mécanique. M. Jouffroy a relégué vers les deux pointes, en les écartant du foyer central de lumière, les professions qui exigent moins d’intelligence et peuvent s’apprendre en quelque sorte avec les yeux de la main. Cette idée est juste et philosophique, et se traduit par un moyen tout-à-fait du domaine de l’art. L’âge varié et la taille inégale des enfans lui a donné aussi pour sa composition des facilités dont il a su tirer bon parti ; les robes des petites filles, les blouses et les tabliers des petits garçons, drapés avec beaucoup de soin et de goût, ont acquis, sans perdre leur caractère, assez de style et de noblesse pour ne point inquiéter les yeux par des formes disparates, et devront sur place s’harmoniser heureusement à l’architecture ; il y avait outre cela, dans le fond même du sujet, une difficulté assez malaisée à vaincre : c’était de faire sentir la cécité de toutes ces figures enfantines ; les statues avec leurs yeux blancs et leurs regards vides ont déjà l’air aveugle même lorsqu’elles sont clairvoyantes. Il était donc assez difficile de faire comprendre, avec les moyens de la statuaire, que ces figures si activement occupées sont, par naissance ou par accident, privées de l’organe de la vision. M. Jouffroy a rendu parfaitement cet effet par le tremblement des paupières et la mimique de la face, exprimés avec une grande habileté physiognomonique. L’inquiétude de la forme et le désir de la lumière se traduisent intelligiblement sur ces têtes aux regards émoussés qu’à défaut du soleil vivant éclaire le flambeau intérieur de l’intelligence. Ce fronton, exécuté à la moitié