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d’une personne morte depuis long-temps, et dont il ne reste que de fort méchans portraits ; car vous pensez bien que le bon abbé de l’Épée ne passait pas son temps à se faire peindre, et qu’il était trop pénétré d’humilité chrétienne pour avoir jamais l’idée qu’on lui élevât un monument. Cependant des vieillards qui ont connu cet homme vénérable ont été frappés de la ressemblance de ce buste, et en ont complimenté l’auteur. — Nous ne pouvons juger que du mérite de l’exécution ; elle est satisfaisante sur tous les points : les traits, quoique communs et n’ayant rien de sculptural, sont animés d’une bienveillance et d’une onction qui en dissimulent la laideur. Les yeux ont cette fixité rêveuse que donne la préoccupation d’un noble problème ardemment poursuivi, tandis que la bouche respire bien la charité évangélique et la bonhomie chrétienne. Le collet, le rabat, le petit manteau, se lient bien avec les lignes du socle, et ménagent autant que possible la transition un peu crue du blanc de la pierre avec la teinte verte et métallique du bronze.

Les deux enfans lèvent vers leur bienfaiteur des yeux mouillés de reconnaissance et illuminés de la joie de pouvoir se comprendre enfin l’un et l’autre. Leurs petites mains dans une pose gesticulatrice sont en train d’exprimer une phrase… la première peut-être. Toutes les portions de nu sont d’une étude et d’une vérité charmantes. Les draperies que l’auteur, pour plus d’harmonie, a cru devoir disposer dans le goût qui régnait à l’époque de l’abbé de l’Épée, sont peut-être un peu trop tourmentées et chiffonnées à plaisir. Ce monument, découvert depuis quelques jours, occupe une chapelle latérale de Saint-Roch où il attire de nombreux visiteurs.

Cette œuvre, d’une sagesse et d’une convenance parfaites, donne raison à M. Auguste Préault contre les malveillances systématiques et ridicules qui ont fait retirer de Saint-Germain-l’Auxerrois son Christ en croix, commandé par le ministère de l’intérieur, et que M. Lassus l’architecte et messieurs du clergé avaient trouvé ce qu’il est en effet, un morceau des plus remarquables et dont le pareil n’existe dans aucune église de Paris. — Certes, l’Antinoüs et l’Apollon du Belvédère sont de fort beaux types, mais qu’il est au moins intempestif d’employer lorsqu’il s’agit de représenter le rédempteur de l’univers moderne. — Le Christ de M. Préault nous rappelle, pour la profondeur du sentiment et l’immensité de la souffrance, les plus beaux crucifix d’Alonzo Cano et de Montañez. Il ne serait déplacé dans aucune cathédrale espagnole, car l’expression de l’ascétisme catholique y domine à un degré bien rare chez les statuaires de notre