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sérieuses, ne cherchant que le beau et le noble, sans se préoccuper des goûts et des dédains de la foule. On ne saurait trop louer cette disposition d’esprit, dans un siècle où tous les arts tendent au métier ; mais la mélancolie n’est pas le marasme, le calme n’est pas la mort. Le dessin ne repousse pas à ce point la couleur. La chapelle de Saint-Jean, que ce jeune peintre vient de terminer à Saint-Séverin, fait voir sans doute d’éminentes et bien rares qualités, mais le parti pris de pâleur adopté par l’artiste dépasse réellement les limites de la convention que l’on peut admettre jusqu’à un certain point dans les peintures murales et de décoration religieuse : — il faut sacrifier quelque chose à l’harmonie générale, mais il ne faut pas lui sacrifier tout. Nous ne faisons pas consister le coloris dans l’éclat de certaines nuances vives ; nous nous contentons d’un ton local, juste et soutenu, encore qu’il n’ait rien de saisissant, et nous ne demandons pas à des dessinateurs, exclusivement préoccupés de la ligne, la fauve ardeur de Titien ni la pourpre éblouissante de Rubens ; pourtant il ne faut pas que les terrains, les chairs, les draperies, ne soient teintés que de saumon pâle, de gris violâtre et de jaune hasardeux : en ce cas, il vaudrait mieux faire tout simplement une grisaille qui permettrait à l’œil de jouir, sans être contrarié par des teintes d’une fausseté pénible, des beautés d’ordonnance, de dessin et de style. Ce que nous disons là semblera peut-être dur à M. Flandrin, mais nous nous intéressons assez à l’avenir de son talent pour ne pas lui ménager les vérités désagréables.

Ce qui peut servir d’excuse en ceci à M. Flandrin, c’est le désir d’approcher du ton mat et clair de la fresque, et de rendre l’aspect des peintures gothiques à l’eau d’œuf des écoles primitives. L’idée en elle-même est juste, et, lorsque l’on travaille à l’ornement d’une vieille église catholique, il faut, autant que possible, se conformer, sans imitation servile, au style de l’époque et au caractère du monument. Mais l’on oublie toujours une chose pourtant bien simple, c’est que les anciennes peintures sont nécessairement décolorées et ternies par le temps, et n’avaient pas, lorsqu’elles venaient de sortir du pinceau des maîtres, cet aspect mystérieusement enfumé ou doucement éteint qui fait aujourd’hui un de leurs principaux charmes : dans cent ou cent cinquante années d’ici, les peintures de Flandrin ne seront plus visibles et s’évanouiront comme une légère aquarelle. Il est bon, surtout dans les églises, presque toujours obscures, de tenir les tons dans une gamme claire ; mais, de là aux enluminures blafardes de la chapelle de Saint-Jean, il y a vraiment trop loin.