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mand, si vaporeux qu’il puisse paraître au premier abord, a bien aussi son côté réel, humain, et nous ne désespérons pas trop de le voir un jour prendre racine en France. Il arrive un peu tard peut-être, et cependant on ne lui reprochera pas d’être né d’hier : de quelque côté qu’on se tourne en Allemagne, si loin qu’on remonte à travers le crépuscule des temps, on le retrouve partout, soit qu’il chante au bord d’une haie le Lebewohl mélancolique du jeune meunier devenu reître et saluant une dernière fois sa maîtresse avant de monter à cheval, soit qu’il psalmodie le coucou dans la chambrette de quelque naïve jeune fille, type adorable de la Claerchen d’Egmont. Si nous avons toujours ignoré cette poésie, c’est que, pareille aux Vergissmeinnicht du Rhin et du Danube, elle se cache sous les grandes herbes qui bordent le fleuve de la littérature, et n’envoie ses mystérieuses bouffées qu’à ceux qui s’attardent au cœur de la nationalité germanique.

En France, nous n’avons rien qui puisse donner une idée de cette poésie. Ce n’est ni la fable de La Fontaine, ni l’épigramme latine d’André Chénier, ni le couplet de Béranger ; et cependant, il faut le dire, le lied se compose de certains élémens essentiels à chacun de ces trois genres de poésie Ainsi, de la fable telle que nous l’entendons, il gardera la bonhomie, et la moralité moins évidente, moins palpable, se dissimulant davantage sous les contours d’une forme élaborée avec le soin le plus curieux. Ses personnages, si par hasard il lui arrive d’en mettre en scène, appartiendront presque toujours au monde de la fantaisie ; ce seront des étoiles, des fleurs, des gouttes de rosée ou des brins d’herbe. Rarement les animaux apparaîtront, et, s’ils interviennent, la fable allemande, le lied, choisira de préférence ceux qui relèvent plus immédiatement de la vie de la nature, ceux dont la végétation universelle provoque l’existence éphémère, les insectes. Donnez au lied la nature dans toute sa pompe du printemps, donnez-lui la cascade, le jardin en fleur, le clair de lune, et soyez sûr qu’il n’en demandera pas davantage. Le lied procède un peu à la manière des comédies poétiques de Shakespeare ; il s’efforce parfois de reproduire, sous des dimensions microscopiques, ces contrastes éternels que l’auteur de la Tempête ébauche à si grands traits. La nature a ses fous de cour, ses bouffons, ses caricatures extravagantes, qui tombent dans le domaine de la fantaisie, aussi bien que ses plus radieuses merveilles. On connaît ce singulier personnage du conte d’Hoffmann, avec lequel l’archiviste s’entretient fort sérieusement pendant plus d’un quart d’heure, et qui se trouve n’être qu’un