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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

vous êtes. Tel lied où le lecteur indifférent n’a vu qu’un assemblage oiseux de quelques rimes, va vous affecter au point que le livre vous tombera des mains, et que vos yeux se mouilleront de larmes. Alors tout s’animera autour de vous, alors vous entendrez les clochettes de mai tinter dans l’herbe ; la plainte des cascades, les soupirs du vent dans la feuillée, le cours errant des nuages, auront un sens mystérieux ; si c’est le crépuscule, des voix mélancoliques chanteront à vos oreilles, des ombres chéries vous apparaîtront, et la terre vous rendra pour un moment ce qu’elle garde en son sein de votre propre vie. Le lied est parfois triste comme l’élégie, plus triste sans doute, car l’élégie ne vous donne que la douleur du poète et non la vôtre ; l’élégie n’a rien de familier, rien d’intime ; elle compose ses airs et prend ses temps ; il lui faut son mausolée et ses cyprès. C’est toujours

La plaintive Élégie en longs habits de deuil,

la sublime pleureuse qui lance des soupirs mesurés vers le ciel, arrondit les bras et combine avec art les sanglots de sa période. L’élégie a sa pompe, sa beauté plastique, son style nombreux, et, si on aime, son pathos ; le lied ne devient quelque chose qu’autant que vous l’y aidez ; c’est une larme ou ce n’est rien. L’élégie se met en scène, et vous dit ses propres douleurs ; le lied, au contraire, se contente de vous donner le ton, puis laisse votre ame chanter quand elle a de la voix.

Pour peu que la mélancolie des lieux et le penchant de votre humeur s’y prêtent, le lieu va vous ouvrir une porte sur l’infini. Grace à lui, vous rêverez sans fin ; où et quand cette rêverie s’arrêtera, Dieu le sait ! Qui ne connaît cette charmante légende du moyen-âge : — Un matin, le moine Félix sort du cloître, et, comme il se promène dans le bois, voilà qu’il entend tout à coup un petit oiseau dont la chanson le réjouit ; le ciel est bleu, le gazon frais, l’ombre heureuse et parfumée sous les acacias en fleurs, et le petit oiseau chante toujours. Quels traits ! quel gosier ! le moine n’a de sa vie entendu rien de pareil ; les orgues même du sanctuaire ne sauraient se comparer à ce gentil ramage du printemps, à cette musique en plein soleil. Il écoute, il écoute, et se laisse ravir tant qu’il peut. Enfin, l’heure de la retraite arrive, le moine s’achemine vers le couvent, mais, ô disgrace ! lorsqu’il se présente, le portier lui refuse l’entrée ; un dialogue s’établit, les autres frères accourent. Chose étrange ! aucune de ces figures ne lui revient ; il se nomme, personne ne le reconnaît. Alors on le conduit au prieur, et le digne homme, qui