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tombe de vieillesse, finit par se souvenir d’avoir connu autrefois un novice appelé Félix qui ressemblait exactement à la personne qu’on lui présente. On consulte les registres du couvent, son nom s’y trouve ; cent ans se sont écoulés pendant qu’il écoutait chanter l’oiseau bleu. — Le lied allemand ressemble au rossignol de la légende ; il chante dans les arbres, sous les fleurs, au bord de l’eau, mais pour vous attirer vers son monde à lui, la rêverie ; il appelle, et vous le suivez, vous le suivez toujours, et des heures se passent ; au moyen-âge, on eût dit des siècles.

On rencontre à chaque pas dans Goethe de ces petites pièces qui vous ouvrent tout un monde ; Uhland aussi possède au plus haut degré cet art de trouver la note de la rêverie, de vous la jeter en passant, comme au hasard. Dans le nombre de ces petites pièces où l’élément épique entre pour quelque chose, l’élément épique mêlé au drame, de ces fantaisies où l’instant romantique est seul indiqué, je n’en sais pas de plus charmante que celle-ci :

— Quelle musique me pénètre,
Quels chants m’éveillent donc ce soir ?
Ô mère ! mère, veux-tu voir
À cette heure qui ce peut être ?

— Je n’entends rien, je ne vois rien,
Repose encore. Nul ne vient
Pour te donner la sérénade ;
Pauvre enfant ! pauvre enfant malade !

— Non, ce qui tant me réjouit
N’est point la terrestre musique.
Les anges chantent leur cantique ;
Ô mère, bonne nuit !

On reconnaît là le véritable caractère de cette poésie, où l’objet relève incessamment du sujet. Ce lied, qui se borne dans le présent à reproduire l’instant où meurt une jeune fille, a bien son passé et son avenir, et répond, quand on y réfléchit, à toutes les conditions qu’exige la poétique du roman. L’allusion au passé comme à l’avenir, quoique un peu vague, et maintenue à dessein dans la généralité, ne laisse pas d’éveiller les plus mélancoliques et les plus suaves émotions. Le dernier soupir de cette jeune fille nous dit qu’elle a aimé ; cette sérénade ineffable, dont le motif lui revient pendant que les anges chantent pour elle le cantique de délivrance, sert de transition à la vie nouvelle. Nous voyons la pauvre malade que la mort guette