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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

mérite qu’on l’étudie avec soin, surtout dans le lied populaire où elle se montre sous un aspect singulier et quelquefois plein d’intérêt. Le lied s’inspirant à la source commune de la poésie au moyen-âge, il en résultera que les Évangiles finiront par lui fournir non-seulement des berceuses pour les petits enfans, mais encore des airs de chasse, des complaintes, et même (chose assez curieuse) des refrains de table d’un mysticisme équivoque. La conception de Jésus dans le sein de l’Immaculée deviendra le sujet d’un lied de chasse. Le Saint-Esprit bat les champs du paradis avec l’ange Gabriel qui lui sert de piqueur :

« Le hardi chasseur était en campagne, il voulait chasser sur les hauteurs du ciel. Que rencontre-t-il dans le bois ? Marie, la belle jeune vierge… »

Le même sens populaire trouvera le motif d’une berceuse dans l’adoration des rois mages :

« Joseph dépouille son manteau pour en faire à Jésus des langes. Joseph, mon doux Joseph, aide-moi à bercer mon enfant, etc., etc. »

Le lied religieux s’attache de préférence aux mystères qui entourent la venue du Rédempteur. La visitation de l’ange Gabriel en dalmatique de brocard d’or dans cette petite chambre d’Albert Dürer où s’épanouit un beau lis à côté du prie-dieu, l’adoration des rois, la conception immaculée, tels sont les sujets qu’il affectionne. Plus tard, à mesure que le Christ se mêle aux hommes, que son existence revêt une signification plus déterminée, une notoriété plus authentique, le lied s’en éloigne peu à peu, sa fantaisie ne sait plus où se prendre sur ces actes consacrés par la lithurgie et qui rentrent dans le cycle de l’année ecclésiastique. Il y a cependant tels de ces actes auxquels l’imagination populaire n’a pu s’interdire de toucher, les cènes du Golgotha, par exemple. L’Allemagne possède plusieurs lieds de ce genre qui sont de véritables hymnes, entre autres celui qui énumère les douleurs de la croix, et après avoir raconté le coup de lance, se termine par ces strophes :

« Ployez-vous, arbres, et vous aussi, rameaux ; pleurez, feuillage ; et vous, brins d’herbe et gazons verts, partagez la détresse commune.

« Les hautes cimes s’inclinèrent, les rocs gigantesques se fendirent, le soleil voila sa clarté, les petits oiseaux laissèrent là leurs chansons et leurs cris.

« Les nuages crièrent : Malheur et désespoir ! les montagnes craquèrent ; les portes s’ouvrirent aux morts, et ils sortirent de leurs sépulcres. »

Opposons maintenant à cette inspiration toute naïve du XVIe siècle