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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

Après Marie, la puissance que la poésie populaire, au moyen-âge, invoque avec le plus de ferveur et de persévérante dévotion, c’est la Mort. Vous la retrouvez partout, dans les pompes du sanctuaire et sur les tréteaux des carrefours, sous les rideaux de l’alcôve où dort la châtelaine, et sous l’ombre immense de ces grands bois où le comte Éberhard de Würtemberg chasse au milieu de sa meute endiablée ; et cette vogue de la Mort au moyen-âge, de la Mort en tant qu’apparition plastique, personnage, n’a rien qui nous étonne. La Mort est une des inventions les plus originales du catholicisme. Ce squelette vivant s’associant à nos passions, à nos travaux, à nos plaisirs, intervenant dans nos douleurs, dans nos misères, jusque dans nos querelles domestiques, ce voisin toujours prêt à se rendre au premier appel, ce compagnon moitié solennel, moitié goguenard, terrible en même temps et familier, parfois grotesque, devait frapper au plus haut point l’imagination populaire. L’antiquité n’envisage guère la mort que comme une abstraction philosophique ; l’Académie et le Portique veulent bien consentir à la discuter dans leurs harmonieuses conférences, mais non à frayer avec elle ; à l’admettre comme idée dans leurs paisibles théories, mais non comme individu dans leur commerce. Jamais la pensée ne leur est venue d’inviter la Mort à leurs banquets pour couronner de roses son front chauve, et mettre en ses doigts décharnés la flûte rhythmique du tibicen. Voilà pourtant ce que fait le catholicisme. Il la convoque à tous les festins, à toutes les pompes de l’existence ; pas un sacre d’empereur en Allemagne, pas une exaltation de pape à Rome, où la Mort n’ait sa place au premier rang parmi les électeurs ou les cardinaux. Elle berce avec la nourrice l’enfant qui vient de naître, assiste au rouet la pauvre filandière, vient s’asseoir à la veillée autour de la table où la famille se rassemble, et, tout en devisant galamment de chose et d’autre, serre la main au vieillard, cligne de l’œil du [1]

  1. et célèbre ville a certes grand besoin surtout. Et quand les rats seraient par myriades, quand les belettes se mettraient en jeu, il faut que j’en purge la place et que tous s’en aillent avec moi.

    « En outre, le joyeux chanteur est aussi un preneur d’enfants, qui, pour dompter les plus rebelles, n’a qu’à chanter ses légendes dorées. Et les garçons seraient-ils plus obstinés, les jeunes filles plus farouches, dès que je fais vibrer mes cordes, il faut que tous me suivent.

    « Par occasion, l’industrieux chanteur est encore preneur de villes ; dans nulle ville, il ne séjourne sans y faire des siennes, et si simples que soient les fillettes, si prudes que les femmes soient, le mal d’amour les prend à mes sons magiques, à mon chant ! »

    (Goethe.)