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des flaques d’eau croupie où barbotaient des oisons et des canards, et on les avait tout-à-fait comblés par une chaussée devant la herse. La cour où l’on entrait d’abord, avec ses hangars, des charrettes acculées çà et là, et son appareil de travaux champêtres, avait quelque peu l’air d’une grosse ferme. Il restait de l’ancien château une aile ruinée qu’on n’habitait plus, et séparée des bâtimens neufs par une porte en arcade menant aux basses-cours, rejetées sur les derrières, du côté du jardin. Il y avait là une grosse tour flanquée de sa tourelle où tenait encore un gros pan de mur à demi démoli. On montrait au pied de cette tour une porte basse donnant sur des souterrains qui avaient été, disait-on, la prison seigneuriale, et où l’on voyait encore de gros anneaux de fer scellés dans les voûtes et les piliers. Le marquis, sans avoir ce que l’on appelait alors des préjugés, plein de respect pour le passé, n’avait point voulu qu’on touchât à ces vestiges ; ils servaient, pour le présent, de granges, d’étables et même de colombier. La paille paraissait à travers les meurtrières, des touffes d’herbes couronnaient les vieux murs rongés de mousse, et des pigeons se jouaient sur les débris des créneaux.

Le château neuf, bâti au commencement du siècle par l’aïeul du marquis, Antoine de la Charnaye, était un solide bâtiment de pierre, à deux étages, fort simple, composé d’un corps-de-logis à cinq fenêtres de façade et de deux pavillons carrés en saillie, le tout couvert d’ardoises, la girouette au pignon, et dans le goût de ce temps-là. Un perron de dix degrés montait de la cour dans le vestibule, et descendait par dix autres marches dans un jardin à la française moitié potager, moitié d’agrément, clos de haies vives et bordé de chaque côté de deux avenues de tilleuls taillés en voûte. Ensuite venait le parc qui s’étendait au loin, et qui, débordant les ailes du château, l’enveloppait pour ainsi dire jusqu’aux fossés.

Le village ou plutôt la paroisse de Vauvert était à deux portées de fusil ; ce n’était qu’une réunion de fermes éparpillées çà et là dans l’espace d’une demi-lieue, vivant du château et relevant toutes autrefois du domaine. La famille de La Charnaye, depuis long-temps vouée à l’état militaire, non-seulement n’avait pu améliorer et accroître ses propriétés, mais encore s’était vue forcée de les vendre pièce à pièce pour se soutenir au service. C’était d’ailleurs un usage presque général parmi les gentilshommes poitevins de partager les revenus d’une terre avec le métayer, et de n’en jamais augmenter le fermage, bien que le temps et la culture en eussent souvent décuplé la valeur.