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redouble. Les plus hardis disent qu’on a bien forcé M. Bonchamps et Charette à prendre les armes, et qu’on saura bien contraindre le marquis à marcher. Ces hommes, qui l’adoraient, ne le connaissaient plus et n’étaient plus maîtres d’eux-mêmes. Ils s’écrient qu’ils ne sortiront pas du château que le marquis ne soit avec eux. On met le feu à une charretée de paille, des furieux s’emportent jusqu’à commettre quelques dégâts ; par intervalles les cris reprenaient comme une tempête : Monsieur le marquis ! monsieur le marquis !

Le marquis se mit à la fenêtre, pâle de colère. Une acclamation s’éleva, on jeta les chapeaux en l’air, les paysans agitèrent leurs fourches. M. de La Charnaye les regardait fixement, avec une sévérité méprisante, et prenait en pitié cette multitude impuissante. Cependant il était livré à d’étranges combats. Cette fureur, cette indignation qui répondait si bien à la sienne, l’échauffaient par degrés, et il avait peine à se contenir. Les paysans étaient si transportés, qu’ils ne s’intimidaient pas de ce regard et de ce silence, mais ils criaient toujours : — Monsieur le marquis, ne craignez point, nous nous battrons bien. Tue les bleus ! tue ! marchons ! — Ces cris se répondaient et formaient une grande clameur. Des femmes circulaient dans la foule, élevant sur leurs bras de petits enfans qu’elles montraient au marquis. — Ils brûlent nos moissons ! ils ont tué le roi ! — cria par-dessus les autres un paysan exaspéré. Le marquis tressaillit à cette parole et disparut ; la corde sensible avait vibré, il était monté dans les combles du château, et reparut, toujours courant, les bras chargés de fusils, de pistolets, de vieilles armes de toute espèce, qu’il jeta au milieu des paysans étonnés. — Prenez ceci du moins, butors, et allons nous faire tuer ; cela sera bientôt fait. — Les domestiques apportèrent aussitôt un faix de vieux harnais et de tout ce qu’il y avait au château d’armes de chasse. Les paysans se jetèrent là-dessus, poussant des hourras, et baisant les mains de M. de La Charnaye, qui leur rendait des bourrades. Mlle Thérèse, derrière son père, supportait à elle seule les témoignages bruyans de cette joie.

À ce moment même Gaston entrait dans la cour, à la tête de la troupe qu’il avait rencontrée. On se retourne, on court à lui, on salue les nouveaux venus de grands cris, on tombe dans les bras les uns des autres ; son arrivée met le comble à cette scène d’ivresse et d’enthousiasme. Les bruits, les sentimens se confondent et s’accroissent ; on brandit les armes, on crie de toutes parts : Vive M. Gaston ! vive monsieur le marquis ! Il n’y avait plus moyen de contenir cette foule exaltée. Gaston embrassa son père et lui donna, de la part