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n’est pas devenu tout à coup une horde de sauvages. Ce mouvement des fédéralistes est un premier effort vers le bien. On nous dit que nos hommes ne valent rien hors de leur pays ; mais tant de succès les ont aguerris, ils ont une foi aveugle dans leurs chefs, ils les suivront partout à la mort.

Il s’exalta plus que de coutume par la joie des succès qu’il venait d’apprendre et par l’espérance qu’il concevait. Le curé l’écoutait d’un air stupéfait, il naissait de ce contraste une sorte de comique touchant qui eût fait à la fois pleurer et sourire ; Mlle de La Charnaye en avait l’ame brisée. Le marquis reprit : — Mais, avant tout, il faut amener la convention à traiter, et pour première condition obtenir la délivrance de la reine et de son fils. La place du roi de France est au milieu de son armée, et, pour cela, il faut prendre Nantes. Les paysans, dites-vous, ne se battent bien que chez eux ? Pourquoi donc les mener en je ne sais quelles expéditions de la Normandie et du Maine ? Pourquoi s’exposer à rejoindre des secours douteux de la marine anglaise ou quelque levée promise à la légère aux environs de Laval ? Veut-on dépayser nos gens et donner à la convention le temps de nous écraser d’armées toujours nouvelles ? Courons donc à Paris ! Mais on peut échouer ? Eh bien ! la guerre sera finie pour ce malheureux pays, et vous sauvez du moins vos enfans et vos femmes, que l’ennemi qu’on y attire ne manquera pas d’égorger. Quant aux Anglais, qu’on s’en méfie ; qu’ils débarquent, s’ils veulent, de l’argent et des munitions, mais point de détour pour les prendre, l’ennemi en a fourni jusqu’ici. Au surplus, j’ai imaginé un plan de campagne ; j’y réfléchirai encore. Vous écrirez tout cela, ma fille.

Le curé haussait les épaules avec compassion, et ne trouvait pas une parole ; Mlle de La Charnaye tremblait que cette froideur ne donnât des soupçons à son père, et s’efforça de mettre fin à cet entretien.

Cependant elle éprouvait de jour en jour plus de peine à dissimuler le terrible retard de son frère, et, n’osant plus reculer dans ses expédiens, elle se trouvait entraînée à supposer de nouvelles lettres. Elle étudiait la correspondance de Gaston et les gazettes ; elle prit des informations auprès des paysans ; elle passait des nuits entières à ce travail.

En lisant ensuite ces notes, il lui arrivait souvent de se tromper sur les règles stratégiques, et le marquis se récriait : — Quoi ! mon fils ne sait pas mieux la guerre ? Ou bien il interrompait tout net : — Comment ! qu’est-ce ? mais cela est impossible ! — Et Mlle de La