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MADEMOISELLE DE LA CHARNAYE.

passage : une population de soixante mille ames, femmes, enfans, vieillards, se pressant par une nuit orageuse sur la rive gauche du fleuve, à la lueur des villages en flammes, épouvantée par les détonations lointaines de l’artillerie et la fusillade des patrouilles républicaines ; un amas de blessés qu’on ne voulait pas abandonner et qui criaient avec leurs femmes et leurs enfans ; l’héroïque Bonchamps couché sur un matelas et encourageant les soldats de sa voix mourante ; la terrible traversée tentée sur quelques bateaux trouvés à grand’peine, des malheureux s’y précipitant à la fois pour fuir plus vite le fer et le feu, les bateliers furieux les repoussant à coups d’aviron, des radeaux construits à la hâte qui s’engloutissaient au milieu du fleuve, et des blessés dans l’eau qui tendaient leurs mains vers leurs frères en poussant des cris effroyables ; enfin, sur l’autre rive, des éclairs sinistres, l’obscurité pleine de terreur et d’incertitude, la mousqueterie des détachemens accourus pour s’opposer au passage, et sans doute la mort à laquelle on venait d’échapper.

Les armées républicaines de Saumur et de Nantes s’étaient concertées pour écraser dans sa marche le reste de ce malheureux peuple. On avait écrit à la convention que c’en serait fait en quinze jours. La Vendée était donc abandonnée, et les colonnes infernales venaient d’y entrer le fer et la torche à la main. Ce système abominable venait d’être inventé par le général Turreau. Les châteaux, les couvens, les métairies sans défense, étaient pillés et brûlés, et les habitans sans distinction passés au fil de la bayonnette. Les soldats, las de tuer, envoyaient les prisonniers par milliers à Nantes, où Carrier venait d’arriver, et où les noyades, les fusillades, la mitraille, abrégeaient la tâche des bourreaux. Le reste de la France était couvert d’échafauds. La reine avait suivi son royal époux à la mort. On était au fort de la terreur.

Dans les derniers combats et après avoir fait des prodiges, la paroisse de Vauvert, à moitié détruite, fut coupée par un corps de républicains, et ne put regagner la Loire. Les gentilshommes qui la commandaient n’avaient pas, il est vrai, applaudi à ce plan de campagne ; mais ils s’étaient résignés à la suivre ; ils défendaient les derrières de l’armée, encombrés de chariots, de blessés et de femmes, quand le corps ennemi les rejeta dans le pays. Une fois isolés, ils furent attaqués avec furie par une colonne républicaine. Les paysans, blessés pour la plupart et harassés par les fatigues des deux dernières journées, se battirent en désespérés ; ils furent écrasés. Gaston, qui les commandait, entouré de bleus qui lui criaient de se rendre, se