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MADEMOISELLE DE LA CHARNAYE.

tous côtés, sur ce ciel brumeux, la fumée qu’on avait vue. — C’est un feu éteint, dit l’un d’entre eux. — Ils donnèrent quelques coups de baïonnettes dans les bourrées, et, n’y voyant nulles traces, ils s’accommodèrent de l’endroit, s’y établirent çà et là, et s’endormirent pour la plupart.

Une heure s’écoula. Le marquis, blotti au coin de l’âtre éteint, récitait son chapelet pour s’exhorter à patience. Cependant il se lassait d’attendre, le froid l’avait repris ; l’inquiétude l’emporte, il se met à crier : — Thérèse ! Thérèse ! — Les soldats ronflaient et ne bougèrent point. Le marquis s’échauffe au bruit de sa voix et reprend plus haut : — Paulet ! Paulet !

— Qu’est-ce qu’il y a ? dit le caporal à son camarade, que le bruit avait réveillé. Le marquis appelait toujours. — Il y a quelqu’un là, dit un soldat. — Quelqu’un de chez nous ? — Le caporal se leva.

Il entend la même voix, qui semble sortir de terre et qui le guide. Il cherche, tourne, soulève les branches, se glisse au travers. — Holà ! dit cet homme à demi endormi, voici l’abri ; nous sommes bien bons de rester à l’air.

Le marquis s’était tu à ce bruit. Deux des soldats eurent le courage de se lever. — Laissons dormir les fainéans, dit le caporal. — Ils se glissèrent en rampant dans la hutte, qui était obscure.

M. de La Charnaye était dans un coin qui écoutait ; ils ne le virent point. — Voilà le feu qui fume, dit l’un ; les brigands ne font que de partir. Je pense bien qu’il y en a un qui s’étouffe par ici. — Bon ! dit l’autre, mon amadou était mouillé. — Le soldat prit un tison pour allumer sa pipe. — Qui va là ? s’écria le marquis. — Qui va là toi-même ? dit le soldat en lui portant son tison au visage. Il vit qu’il était aveugle. — En voici un, dit-il, qui n’a pas pu suivre les autres. — Messieurs, dit le marquis en se levant et d’un ton impérieux, à qui ai-je l’honneur de parler ? — Les soldats se mirent à rire, et allumèrent leur pipe sans lui répondre. — Messieurs, reprit-il avec une dignité sévère, je suis vieux et aveugle… dites-moi si vous savez quelque chose sur les évènemens, et si vous n’avez pas vu ma fille près d’ici. — Approche, qu’on te voie, dit le caporal en le prenant au collet. — Sachez, dit le marquis en se redressant de toute sa taille, que vous parlez à l’un de vos officiers, et que ce sont les bleus qui m’ont mis dans l’état que vous voyez. — Ne te gêne pas, dit le caporal en se tournant vers ses hommes, je te conseille de t’en vanter. C’est bon, on prendra soin de toi. — Puis il appela ses camarades en dehors ; la hutte se remplit de soldats. Le marquis conti-