Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/954

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
950
REVUE DES DEUX MONDES.

nuait sur le même ton. — C’est donc ainsi que se conduisent nos hommes à présent ? J’en informerai vos chefs, et je vous ferai dégrader à la tête de vos paroisses. Je vous apprendrai, blancs-becs, à respecter les vieilles moustaches. — C’est un restant de ci-devant, dit le caporal en sortant ; allons chercher l’officier et le représentant, qu’ils fassent de lui ce qu’ils voudront. — On laissa deux hommes en faction à l’entrée.

Les soldats pensaient que c’était le maître du château qu’on avait tant cherché. Le représentant, pressé de partir, chargea le chef de brigade de s’en assurer. Le capitaine Mainvielle fut le premier instruit de la découverte, et résolut avec Paulet, qui se désolait, de tenter un dernier effort pour sauver du moins M. de La Charnaye. On venait d’expédier sa fille à Nantes, mais si malade, qu’ils espéraient qu’elle échapperait au supplice.

Ils convinrent que Paulet s’introduirait auprès de lui sous prétexte de faire son métier d’espion, et le déciderait à cacher sa qualité, après quoi on tâcherait de le faire évader. Le capitaine Mainvielle risquait sa tête pour son ancien officier. Il accompagna Paulet lui-même, et lui ménagea la bonne volonté des factionnaires.

Paulet se glissa jusqu’auprès de M. de La Charnaye, qu’il trouva debout, encore tout échauffé, et marchant à tâtons le long des murs comme pour sortir. — Ah ! c’est toi, Paulet, s’écria-t-il, cela est heureux… — Et comme il entamait ses récriminations, Paulet se jeta à ses pieds, lui prit les mains, les mouilla de pleurs. — Monsieur le marquis, qu’avez-vous fait ? tout est perdu. — Et il lui raconta à la hâte, d’une voix entrecoupée de sanglots, où ils étaient, ce qui se passait, l’état du pays et tout ce qu’on lui avait caché. Le marquis le repoussa comme s’il rêvait ; Paulet ajouta ce qu’il put, avec des protestations pressantes et des marques de désespoir qui ne permettaient pas un doute. M. de La Charnaye était étourdi, et dit enfin : Et nos armées ? — Ah monsieur le marquis, vous ne savez rien : détruites, dispersées ; le pays est en cendres. Et la reine ? — Morte à Paris sur l’échafaud depuis deux mois. — Et le jeune roi ? — Toujours en prison dans la tour du Temple. — Et la coalition étrangère ? — Vaincue, dissoute. — Et mon fils ? — Il est mort, monsieur le marquis.

À ces questions faites coup sur coup, on eût dit un homme qui roule dans un abîme, s’accroche çà et là, et jette ses mains de place en place pour se retenir. Ce fut un coup aussi foudroyant que s’il eût à l’instant rouvert les yeux par miracle devant ces effroyables évènemens. Il laissa tomber sa tête sur ses genoux ; Paulet se releva