Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/958

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
954
REVUE DES DEUX MONDES.

mandée par ses sages fondateurs, ou bien est-elle destinée à se voir forcément entraînée dans la sphère des combinaisons futures de la politique européenne ? Y a-t-il au sein de l’Union américaine ce qu’il faudrait de force et surtout de stabilité pour que des puissances étrangères pussent songer à y chercher la base d’un système d’action ? Ces questions, dont les unes sont déjà résolues, et dont les autres ne pourront l’être qu’avec le temps, expliquent cette curiosité si générale qui s’attache aux affaires de l’Union américaine et leur fait obtenir, depuis vingt ans, une si large part dans nos controverses européennes.

Il y a d’ailleurs, il faut l’avouer, quelque chose de saisissant dans le spectacle qu’offre aujourd’hui l’Amérique. Jamais peut-être progrès matériel aussi rapide n’a signalé les premiers pas d’une nation, Qu’y voyons-nous ? De vastes forêts qui, grace à l’activité la plus extraordinaire, se transforment soudainement en contrées populeuses ; des usines, des hôtelleries, des villes entières qui s’élèvent comme par enchantement là où, il n’y a pas vingt ans, le chasseur égaré allait se heurter contre le misérable wigwam de l’indien ; des chemins de fer qui rayonnent dans tous les sens et lient entre eux des points séparés par d’immenses intervalles ; des canaux improvisés qui sillonnent les riches bassins de l’Ohio, du Saint-Laurent, du Mississipi, rattachent entre elles et avec l’Océan ces grandes artères du continent américain. L’admiration qu’un tel développement matériel est fait pour inspirer s’accroît encore, lorsqu’on se rappelle qu’il a lieu au sein d’une société née d’hier, et dont l’activité semble devoir être presqu’entièrement absorbée par l’agitation incessante à laquelle la condamne la nature même de ses institutions. Aucune révolution, que je sache, n’a jamais justifié au même point, sous le rapport matériel du moins, les espérances les plus vives de ses auteurs ; aucune n’a produit si tôt et si complètement les résultats positifs qu’on disait devoir en découler.

Ces résultats n’ont pu toutefois s’obtenir qu’à l’aide d’un travail persévérant, obstiné. Aussi peut-on dire qu’en Amérique l’oisiveté est tout-à-fait inconnue. À peine le jeune Américain des états de l’ouest a-t-il atteint sa seizième année, qu’il se hâte de choisir une compagne ; puis, s’armant d’une hache ou d’un fusil, il s’enfonce dans les sombres forêts qui couvrent encore une si grande partie du nouveau continent. Son fusil, qu’il manie avec une merveilleuse adresse lui fournit aisément de quoi subvenir aux modestes besoins de son ménage ambulant ; les peaux des bêtes sauvages sont échangées contre