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le plus la curiosité sur les travaux intellectuels de ses compatriotes, c’est l’espoir d’y rencontrer non pas le beau, non pas le noble, mais le singulier, l’excentrique.

Expliquons-nous.

À peu d’exceptions près, on voit partout aujourd’hui en Europe la même philosophie, la même jurisprudence, la même littérature. Nos formes de gouvernement, sans être identiques, se ressemblent ; nos habitudes, nos idées, bien qu’en apparence diverses, sont partout façonnées sur un même modèle. Nous autres citoyens constitutionnels de la France et de l’Angleterre, nous ne raisonnons pas absolument en toute chose comme nos voisins de l’Allemagne et de l’Italie ; mais on trouverait en germe, au fond de nos raisonnemens, les mêmes principes premiers. Si nous différons quelquefois dans nos systèmes, dans nos vues, nous différons en gens qui, partant des mêmes base, mêlent seulement quelque chose de leur tempérament particulier, de leurs habitudes locales, aux conclusions qu’ils en tirent. Il en résulte que le mérite de la nouveauté, de l’originalité, et par conséquent celui d’un intérêt vif et profond, manquent le plus souvent à nos ouvrages littéraires. On connaît l’histoire de cette vieille dame anglaise qui se suicida, désespérée de ne plus rien trouver de dramatique, de saisissant, de pittoresque en Europe, depuis que dans tous les pays les classes supérieures commençaient à s’habiller de la même façon. Il en est à peu près de même de nos littératures, qui sont devenues, même dans leurs beautés, fatales et monotones à force de se copier et de s’assimiler les unes aux autres.

C’est à cause de cela que les travaux intellectuels de l’Amérique sont surtout faits pour éveiller l’attention. Ils doivent, ou plutôt ils devraient exprimer les opinions, les idées d’un peuple dont l’organisation sociale n’a absolument rien de commun avec celle de nos sociétés européennes. Le philosophe, le moraliste, l’homme d’état, doivent être curieux de savoir quelle est la nourriture intellectuelle qu’on offre à la seule grande société démocratique qu’il y ait aujourd’hui dans le monde ; quelle est l’empreinte que cette forme politique laisse sur les habitudes, sur les intelligences. Ainsi, l’on n’est plus réduit à remonter aux temps de la Grèce et de Rome pour savoir ce que c’est que l’action morale de la démocratie. L’Amérique, qui est là sous nos yeux, nous en offre un exemple vivant, exemple d’autant plus précieux qu’il est, sous certains rapports, unique peut-être dans l’histoire. On sait que ce qu’on appelait démocratie à Athènes et à Rome, ne ressemblait guère à ce que nous désignons