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Gaudenzio Ferrari, le seul grand peintre qu’ait peut-être produit le Piémont, avait trouvé grace devant les plus fanatiques des adeptes de la nouvelle doctrine, même avant qu’ils fussent venus à résipiscence. Gaudenzio avait ce qu’il fallait pour se faire pardonner son titre de peintre de la seconde époque. Élève du Pinturrichio et ami de Raphaël, qu’il avait aidé dans la décoration des stanze du Vatican, il s’était plus tard retiré dans son pays natal, et avait continué à Verceil la manière du Pinturrichio, cet aimable peintre des fresques de Sienne. Son style calme et plein d’une grandeur naïve, loin d’être primitif, est plutôt une sorte de combinaison du style de Léonard de Vinci et de celui des maîtres que nous venons de citer. Romain par le caractère de ses têtes, Lombard par le fini et la délicatesse de ses extrémités, son dessin a toute la savante naïveté, souvent même la maigreur étudiée des artistes florentins de la première époque. À l’instar des prédécesseurs de Ghirlandajo, il aimait à envelopper les extrémités inférieures de ses personnages d’amples vêtemens qui les cachaient souvent entièrement. Toutes ces belles qualités brillent dans son tableau de la Déposition de Croix, le plus éminent peut-être de la Galerie royale, et ces rares imperfections s’y retrouvent également. On y reconnaît avant tout l’œuvre d’un peintre sincèrement religieux, d’un de ces artistes dont le crayon fixait sur la toile les pieuses méditations, dont la foi guidait le pinceau, et auxquels de mystiques révélations tenaient lieu de l’inspiration profane. En étudiant ses ouvrages, on n’est nullement surpris que ses contemporains l’aient proclamé pieux par excellence[1].

La jeune école italienne contemporaine, poétique et philosophique, a tenté la rénovation du sentiment religieux. Les chefs littéraires de l’école lombarde et leurs lieutenans piémontais, tels que M. d’Azeglio et autres, se sont mis à la tête du mouvement ; nous les croyons de bonne foi, d’autant plus que, non contens de prêcher et de professer comme nos écrivains religieux du commencement du siècle et nos journalistes religieux d’aujourd’hui, ces messieurs pratiquent. Mais leur exemple même, loin de justifier leur théorie, tendrait à la détruire. Quels chefs-d’œuvre ont produits ces fidèles croyans ? Si l’on excepte les hymnes sacrés de M. Manzoni, la littérature peut-elle se glorifier de compositions du premier ordre ? La peinture, dans ces provinces du nord de l’Italie, s’est-elle relevée de sa complète décadence ? Sabatelli seul promettait un grand peintre,

  1. Gaudentius noster in iis (artibus) plurimum laudatus opere quidem eximio, sed magis eximie pius. (Episc. odesc. synod.)