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lantes. Le dénouement nous ramène aussi au temps où les romanciers avaient enlevé à l’amour son vieux guide mythologique, la folie, pour le faire escorter de la mort. Mais ce qui nous reporte d’une façon malheureuse à une époque plus récente, c’est l’action qui est moins fortement nouée, le style qui présente quelques négligences. Voilà, je crois, des défauts dont la cause est bien facile à découvrir et partant à faire disparaître. Mme Reybaud a conservé ce talent de paysagiste qui, chez plusieurs écrivains d’aujourd’hui, vivifie des créations malsaines, en faisant circuler dans le livre un air chargé de bonnes et fraîches odeurs. Elle excelle toujours à faire murmurer doucement le feuillage des saules du sentier, et surtout à étoiler de roses blanches les sombres massifs du parc ; mais, hélas ! de quels lieux s’élèvent maintenant tous les bruits enchanteurs, tous les tendres parfums qu’elle rassemble ? D’un feuilleton, c’est-à-dire d’une sorte de galerie souterraine construite sous les colonnes d’un journal, comme un passage aux voûtes écrasées sous les rues bruyantes d’une ville. Est-ce bien là que peuvent s’épanouir tant de floraisons et de senteurs !

Quel triomphe ce serait pour nous, si, après avoir protesté contre l’influence du feuilleton dans l’art, après l’avoir attaquée de toutes nos forces, nous avions sous les yeux quelque ouvrage fait avec talent et conscience, que nous pourrions montrer en disant : Voilà un livre dont l’intrigue n’a pas été livrée au hasard, dont le style n’a pas un caractère hâtif, dont les pensées ne viennent pas d’une inspiration journalière ; voilà un livre qui rappelle les beaux jours de notre littérature. Hélas ! nous avons sous les yeux l’Émerance de Mme Ancelot. Oui, Émerance arriverait merveilleusement à propos pour montrer tout ce qu’une œuvre gagne en distinction et en fraîcheur à ne pas s’être trouvée déjà en contact avec le public. Mon Dieu ! quelle occasion notre conscience va sans doute nous faire manquer ! Il aurait été si agréable de dire : « Mme Ancelot vient de nous donner un roman qui, au milieu de ce gaspillage intellectuel, repose la pensée sur des études intelligentes et sérieuses. Son livre est plus qu’un tableau piquant des mœurs du monde, c’est un ouvrage où les plus grandes questions de l’ordre social sont traitées à chaque instant dans des pages pleines d’une verve éloquente. Toutes les classes sont passées en revue, toutes les opinions sont jugées ; et, au milieu de tant d’ingénieuses satires, de tant de réflexions mordantes, de tant de peintures douloureusement vraies, l’auteur a trouvé place pour une pure et charmante création qui rappelle tout ce que la poésie a de plus éthéré. Son Émerance pourrait être née comme Éloa d’une larme divine tombée sur la terre, etc. » Ces éloges seraient d’autant plus doux à prononcer qu’ils répondent tous à des prétentions manifestement exprimées dans le roman de Mme Ancelot ; et quel espoir plus propre à séduire que celui de se rencontrer avec l’auteur dans le jugement qu’on portera sur son œuvre ! Pourquoi faut-il qu’il y ait en nous une autre voix impérieuse et rogue, qui veuille forcer au silence cette voix caressante que nous aimerions tant à laisser parler ?

Le livre de Mme Ancelot est dédié à M. Emmanuel Dupaty, le livre de Mme  An-