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LE PARATONNERRE.

— Voilà d’aimables garçons, dit le crésus bourgeois en nous tendant la main ; c’est fort bien à vous de vous être détournés de votre route pour venir visiter mon chalet.

— Nous ne nous sommes pas détournés de notre route, répondit Maléchard ; nous venons de Paris tout exprès pour vous voir.

— En ce cas, c’est mieux encore, et Mme Richomme sera fort reconnaissante, en apprenant que vous lui sacrifiez les délices de Paris. Ma simple demeure ne vous en dédommagera pas, poursuivit le gros homme en nous montrant la riche façade de sa maison ; mais, si mon hospitalité est modeste, du moins elle est cordiale.

Maléchard me poussa du coude. Je n’avais pas besoin de cet avertissement pour remarquer le divertissant contraste qu’offraient l’humble langage de notre hôte et son geste superbe. En désignant circulairement les lointaines perspectives du jardin anglais dont se trouvait entouré le corps de logis, la main du fournisseur devenu châtelain semblait vouloir s’allonger jusqu’à l’horizon et s’approprier le canton de Berne tout entier, y compris les Alpes.

— Vous arrivez dans un mauvais moment, reprit M. Richomme en nous dirigeant vers le perron ; vous nous trouvez réduits à nos petites ressources de famille. La semaine dernière, j’avais ici quinze maîtres et onze domestiques : le comte et la comtesse de Maulevrier, lord et lady Rothsay, le prince Liparini…

— C’est vous que nous venons voir, interrompit Maléchard en souriant.

— … La comtesse Czarniwienska et sa fille, continua l’ex-fournisseur, qui semblait éprouver un plaisir particulier à faire sonner à nos oreilles bourgeoises les titres des hôtes de distinction qu’il avait reçus la semaine précédente. Nous avons eu aussi la visite de notre ambassadeur, un homme charmant ! Nous sommes fort bien ensemble. Je vous présenterai à lui la première fois qu’il dînera ici.

— C’est à Mme Richomme que je désirerais d’abord être présenté, dis-je à mon tour ; mais pour cela un changement de costume me semble urgent. Après quatre jours de voyage…

— On va vous conduire dans vos chambres, reprit le maître du logis ; vous avez le temps de vous habiller avant le dîner. Liberté entière pour tout le reste, mais exactitude à table, voilà la règle de la maison. Du reste je n’ai pas besoin de vous dire que vous êtes ici chez vous.

M. Richomme, donnant lui-même l’exemple de la liberté qu’il proclamait, nous confia aux soins d’un domestique qui nous installa,