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— C’est donc vous qui avez eu l’aimable idée de venir nous voir, et à qui par conséquent mes remerciemens sont dus ?

Quoique mentalement réconcilié avec mon compagnon de voyage, je jugeai hors de propos de confirmer le petit mensonge par où il avait débuté.

— Il faut rendre à César ce qui est à César, répondis-je modestement. J’ai été heureux d’accompagner Maléchard, mais à lui seul appartient la pensée première de notre voyage.

Mme Richomme hocha la tête d’une façon qui disait clairement : J’en étais sûre.

— Vous êtes fort lié avec M. Maléchard ? reprit-elle en me regardant d’un œil pénétrant.

— Je le connais depuis dix ans.

— C’est-à-dire que vous n’avez rien de caché l’un pour l’autre ?

Cette question fut articulée d’un ton si expressif, qu’à mon tour je regardai attentivement la femme du millionnaire.

— Madame, répondis-je en baissant la voix, il est des choses qu’on ne confie pas à son meilleur ami. Je ne dis pas tout à Maléchard, et il agit de même envers moi ; mutuellement nous sommes souvent réduits à deviner.

M. Maléchard est-il habile à ce métier ?

— Fort habile.

— Et vous ?

— Ma modestie m’empêche de répondre, dis-je en souriant.

— Cela veut dire que vous vous croyez plus habile encore que votre ami.

— Plus, non ; mais autant.

Mme Richomme parut hésiter.

— Y a-t-il long-temps que vous n’avez trouvé l’occasion d’exercer votre talent ? dit-elle enfin avec un enjouement affecté.

— Je l’exerce en ce moment même, répondis-je d’un air railleur, car l’interrogatoire commençait à me déplaire.

— Vraiment ! reprit la femme de l’ex-fournisseur, dont les yeux bruns étincelèrent ; puis-je savoir ce que vous cherchez à deviner ?

— Mon ami est engagé dans une partie fort intéressante : gagnera-t-il ? voilà ce que je me demande.

Quoique j’eusse montré la table de jeu, Mme Richomme ne se méprit pas au sens de mes paroles, que lui expliqua d’ailleurs mon regard. Elle comprit que je faisais allusion à une partie qui n’était pas celle de whist, et répondant à ma pensée :