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meil, elle entretint avec complaisance les pensées tumultueuses qui veillaient en elle. Elle joua avec les incidens de ce jour comme elle avait fait une fois avec la chambre de Savenay. Elle les embellit des rêves de son imagination, comme elle avait paré des fleurs de son jardin les vases de la cheminée. L’arrivée de ce jeune homme, au plus fort de l’orage, pâle, défait, ensanglanté ; le danger qu’il avait couru, ce qu’il avait dû souffrir lorsqu’il causait doucement auprès d’elle ; l’évanouissement sur le perron, cette blessure rouverte, ce baiser silencieux sur une main tremblante, tous ces détails prirent, aux yeux de Louise, une solennité poétique qui ne laissa pas un instant de repos à son esprit. Ce coup d’épée surtout, dont avait parlé M. Riquemont, la tint durant toute la nuit dans une préoccupation étrange. Un coup d’épée dans la poitrine ! Et cela s’appelait une histoire galante, une aventure romanesque ! Elle ignorait pourquoi, mais ce coup d’épée la contrariait, elle en souffrait, elle en était jalouse ; et cependant, à son insu, peut-être n’était-elle pas fâchée qu’il eut reçu ce coup d’épée : M. Riquemont, lui, n’avait jamais reçu que des coups de pied de cheval. Louise ne s’endormit qu’au matin, bercée par une voix qui chantait à son chevet. Elle rêva que M. Savenay avait été blessé pour elle, et qu’elle s’était faite sœur grise pour le soigner.

Louise dormait encore que M. Savenay était sur pied, faible il est vrai, mais assez fort, il le croyait du moins, pour pouvoir retourner à Saint-Léonard. Il craignait d’abuser de l’hospitalité du château. En l’entendant parler de la sorte, le Riquemont entra dans une épouvantable colère et jura qu’il mettrait plutôt le feu à tous ses domaines que de laisser partir ainsi son hôte. Il était de bonne foi dans son affection pour Savenay ; d’un autre côté, il se faisait une fête de montrer au docteur Herbeau son rival installé au château. Au reste, dans l’état de santé où se trouvait M. Savenay, il n’était guère possible qu’il retournât à la ville, soit à pied, soit à cheval, et les sentiers abîmés par l’orage ne devaient pas, de quelques jours encore, être praticables pour la carriole qui servait de calèche au châtelain dans les grandes solennités. Louise, qu’avaient réveillée les éclats de voix de M. Riquemont, était venue prendre part à la discussion ; elle se rangea timidement de l’avis de son mari.

— Qui vous presse ? dit celui-ci ; vos malades n’en mourront pas. Vous avez ici bonne table et bon gîte. Il faut que j’aille aujourd’hui à la foire de Pouligny. Vous tiendrez compagnie à ma femme. Cette