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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

rait soutenir sans rêverie qu’il s’est ressouvenu à la fois de trois endroits de Théocrite. De même encore se comporte-t-il sans cesse à l’égard d’Homère. Ce sont des croisemens sans fin de réminiscences, des greffes doubles, et des combinaisons consommées : tres imbris torti radios. J’en demande bien pardon à nos Scaligers, mais le procédé ici n’est pas autre, quoiqu’il n’ait lieu que de Surville à Berquin. Simonide en tiers est dans le fond.

Le premier succès de Clotilde fut grand, la discussion animée, et il en resta un long attrait de curiosité aux esprits poétiques piqués d’érudition. Charles Nodier, dont la riche et docte fantaisie triomphe en arabesques sur ces questions douteuses, ne pouvait manquer celle-ci, contemporaine de sa jeunesse. Dans ses Questions de Littérature légale, publiées pour la première fois en 1811, il résumait très bien le débat, et en dégageait les conclusions toutes négatives à la prétendue Clotilde, toutes en faveur de la paternité réelle de M. de Surville. Après quelques-uns des aperçus que nous avons tâché à notre tour de développer : « Comment expliquer, ajoutait-il, dans ce poème de la Nature et de l’Univers que Clotilde avait, dit-on, commencé à dix-sept ans, la citation de Lucrèce, dont les œuvres n’étaient pas encore découvertes par le Pogge et ne pénétrèrent probablement en France qu’après être sorties, vers 1473, des presses de Thomas Ferrand de Bresse ? Comment comprendre qu’elle ait pu parler à cette époque des sept satellites de Saturne, dont le premier fut observé pour la première fois par Huyghens en 1655, et le dernier par Herschell en 1789[1]. » M. de Roujoux, dans son Essai sur les Révolutions des Sciences publié vers le même temps que les Questions de Charles Nodier, avait déjà produit quelques-unes de ces raisons, et elles avaient d’autant plus de signification sous sa plume qu’il se trouvait alors avoir entre les mains, par une rencontre singulière, un nouveau manuscrit inédit de M. de Surville. Si ingénieux que soit le second volume attribué à Clotilde encore et publié en 1826 par les deux amis, je ne puis consentir à y reconnaître cet ancien manuscrit pur et simple ; j’ai un certain regret que les deux éditeurs, entrant ici avec trop d’esprit et de verve dans le jeu poétique de leur rôle, n’aient plus voulu se donner pour point de départ cette opinion critique de 1811, qu’ils ont, du reste, partout ailleurs soutenue depuis.

  1. Ton vaste Jupiter, et ton lointain Saturne,
    Dont sept globules nains traînent le char nocturne.

    Ces vers toutefois ne se trouvent que dans le volume de Clotilde, publié en 1826.