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LE DOCTEUR HERBEAU.

peu, convenant toutefois que la situation ne manquait pas de gravité et qu’il était urgent de prendre un parti décisif.

— Que faire, hélas ! dit Adélaïde.

— Rappelez Célestin, s’écrièrent-ils tous à la fois.

Sur ces entrefaites, le docteur Herbeau arriva. Il écouta sans sourciller le récit de cette funeste journée. Lorsqu’il fut question de M. Riquemont et de son attitude malveillante en cette désastreuse affaire, le visage du docteur s’alluma, et un sourire fatal passa sur ses lèvres.

— C’est bien ! dit-il d’un air à la fois calme et sombre.

Dès qu’ils eurent achevé de chanter cette lamentable épopée :

— Rappelez Célestin ! reprirent les amis en chœur. C’est le seul parti qu’il vous reste à prendre ; c’est la seule digue, le seul rempart que vous puissiez raisonnablement opposer à la faveur près de vous échapper. Rappelez Célestin ! vos ennemis s’étonnent eux-mêmes que ce ne soit pas déjà fait. Ils triomphent de vos lenteurs. Qu’attendez-vous ? que M. Savenay ait éclairci votre clientèle et substitué sa puissance à la vôtre ? Il n’est déjà que trop de mal. Rappelez, rappelez Célestin !

— Nous l’avons rappelé, dit Adélaïde ; mais le cruel enfant ne vient pas.

— Il viendra, dit le docteur Herbeau, gardez-vous d’en douter. Il viendra, comme un jeune archange, mettre son pied vainqueur sur la tête de nos ennemis.

— Qu’il vienne donc ! s’écria le chœur des amis.

— Mes amis, dit le docteur Herbeau en élevant la voix et avec une affectueuse dignité : souffrez que je vous remercie de votre présence en ces lieux. Je suis heureux et fier de vous voir réunis autour de moi en ce jour difficile. Un poète a dit quelque part :

Donec eris felix, multos numerabis amicos ;
Tempora si fuerint nubila, solus eris

ce qui signifie, pour ceux qui ne savent pas le latin : — Tant que vous serez heureux, vous aurez beaucoup d’amis ; si votre ciel se couvre, vous serez seul. Solus eris ! — On voit bien, messieurs, que le poète qui a écrit ce distique ne connaissait pas Saint-Léonard. Mon ciel s’est couvert, et vous voilà tous rangés autour de mon malheur comme autour d’un drapeau. Vous êtes de nobles cœurs ! Vous n’ignorez pas que le vent a jeté mon kiosque dans la Vienne, ce kiosque où nous avons passé ensemble de si douces heures en des