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jugemens par jury des délits politiques, élection des conseillers municipaux, tout cela constituait, au gré de ceux-ci, un ensemble d’institutions nécessaires peut-être, mais fâcheuses, et qu’il fallait, si l’on voulait vivre, dénaturer et corrompre ; au gré de ceux-là, une réunion de conquêtes glorieuses et salutaires qu’il convenait de fortifier et de développer. Même désaccord au fond sur la politique pacifique, mais digne et ferme, des ministres du 13 mars et du 11 octobre. Tout le monde la soutenait, mais avec des vues et des arrière-pensées fort diverses. L’expédition d’Ancône et celle d’Anvers, par exemple, n’obtenaient pas partout une égale approbation, et la noble politique qui donne invariablement pour limite à l’action de la France sa frontière actuelle trouvait déjà plus d’un admirateur.

Que chacun ne se rendît pas parfaitement compte de ces dissidences, je l’admets volontiers. Elles existaient pourtant, et ne pouvaient manquer de se faire jour, une fois l’ordre assuré. Elles se firent jour en effet, et il est facile de voir qu’aujourd’hui, parmi ceux-là même qui prétendent les nier, elles sont plus vives que jamais. Ici ce sont, avec quelques modifications, les opinions ultrà-monarchiques que 1830 semblait avoir abattues, mais qu’un publiciste, récemment enlevé au parti conservateur, relevait, il y a trois ans, avec autant de courage que de talent. Là ce sont au contraire des opinions franchement constitutionnelles. Ici c’est une conviction profonde qu’en temps de calme comme en temps d’agitation la répression la plus énergique, la plus éclatante, est le seul moyen de maintenir l’ordre dans la société et de sauver le gouvernement établi. Là c’est une répugnance ancienne et instinctive pour une telle répression et pour ceux qui la défendent. Et si de l’intérieur on passe à l’extérieur, que de sentimens, que d’avis, que de langages ! Ceux qui, depuis dix ans, ont suivi les séances de la chambre, se souviennent d’un député qui commençait ainsi qu’il suit la plupart de ses discours : « Je vote comme le préopinant, mais par des motifs diamétralement opposés. » Telle paraît être, sur presque toutes les questions importantes, la formule tacite du parti conservateur.

Au surplus, il y a un fait qui parle bien haut. En mars 1840, un ministère se constitua qui annonçait hautement l’intention de modifier au dehors comme au dedans l’ancienne politique, et d’offrir aux hommes modérés de tous les partis le moyen d’opérer une honorable transaction. Des cent quatre-vingts membres qui composent le parti conservateur, quatre-vingts à peu près répondirent à l’appel, et cent s’y refusèrent. Peut-on dire que leur opinion fût la même, et qu’il y ait entre eux identité ?