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Ses agens ont travaillé pendant quatre ans à fomenter cette insurrection dont lord Palmerston s’est fait ensuite un argument pour déterminer les puissances à renverser le statu quo. Après avoir excité les Syriens à massacrer les garnisons égyptiennes, il a prétendu que l’Europe ne pouvait pas abandonner les peuplades du Liban aux vengeances d’Ibrahim. On a invoqué des motifs d’humanité[1] pour décider l’expédition qui devait aboutir au bombardement de Saint-Jean-d’Acre et de Beyrouth. Il n’y a certainement rien de plus machiavélique ni de plus immoral dans les manœuvres politiques qui préparèrent le partage de la Pologne entre Catherine, Marie-Thérèse et Frédéric II.

Dans la conduite d’un gouvernement comme dans la vie privée, les actes que l’on n’avoue pas sont rarement des actes honnêtes. En déclarant, au mépris de la vérité et de sa propre signature, que les Syriens n’avaient été soulevés ni à l’instigation de l’Angleterre ni par des agens anglais, lord Palmerston a donné la mesure de l’opinion qu’il avait lui-même de cet épisode de son intervention dans les affaires de l’Orient. Si l’on avait pu se méprendre sur le caractère d’un tel procédé, le soin qu’a mis le ministre anglais à s’en disculper suffirait pour le flétrir. Lord Palmerston l’a bien senti ; car, après avoir démenti la participation de l’Angleterre aux mouvemens de la Syrie, il a cherché à justifier l’insurrection elle-même. « La révolte, disait ce ministre à la chambre des communes, le 6 août 1840, la révolte, puisqu’on l’appelle ainsi, a éclaté en Syrie contre les autorités locales qui occupaient le pays ; ce n’était point une révolte contre le souverain. »

L’argument n’est admissible ni en équité ni en droit. Dans le droit féodal de l’empire ottoman, les populations syriennes devaient obéissance au pacha d’Égypte, que la Porte avait fait leur gouverneur, tant que Méhémet-Ali n’aurait pas rompu le lien de subordination qui l’attachait au sultan ; et tant que ce lien subsistait, c’était se révolter contre le grand-seigneur que de prendre les armes contre son vicaire temporel, le vice-roi. En fait, les choses ne se sont pas passées autrement. Les montagnards du Liban, qui avaient concouru avec

  1. On lit dans le protocole réservé du 15 juillet : « Lesdits plénipotentiaires, étant profondément pénétrés de la conviction que, vu l’état des choses en Syrie, des intérêts d’humanité, aussi bien que les graves considérations de politique européenne qui constituent l’objet de la sollicitude commune des puissances, réclament impérieusement d’éviter tout retard dans l’accomplissement de la pacification, etc. »